Wayne & son poulain  

Wayne raccrocha son téléphone sur une dernière phrase plaintive de l’une de ses nouvelles protégées. Aussi énervé qu'il ait pu paraître au bout du fil, il regrettait un peu maintenant d'avoir été aussi dur avec la musicienne. Après tout, ça n'était pas si grave que ça... Wayne se passa une main sur le visage. En réalité, la pauvre fille avait subi la nervosité accumulée du manager. Les choses ne roulaient pas toutes seules en ce moment, il fallait le dire. Quelques problèmes avec la presse people, du souci pour des personnes qui lui étaient chères, et toujours un problème de remise en question suite au départ de Nour. Il se sentait coupable, des deux côtés, celui de Nour parce qu’il n’a pas su la retenir, et celui d’Owen…qui se retrouvait une nouvelle fois sans batteur, alors que la sortie de son nouvel album se rapprochait de plus en plus. Wayne ne savait pas encore comment il devait réagir avec tout ça, comment il devait se comporter. Pour lui, c’était en partie de sa faute : il avait dû merder quelque part. Il n'était pas nombriliste au point de porter le poids de toute chose à lui tout seul ; il était conscient qu'il n'était pas l'unique responsable. Mais il savait aussi qu'il y était pour quelque chose, sans vraiment être sûr de ce qu'il avait foiré. Sa manière de gérer les choses ? De gérer la pub, la presse ? Les infos ou les photos qui avaient filtré ? Sa place de manager ? La façon dont il se comportait avec ses artistes ? Autant d'interrogations qui le taraudaient et ne lui laissaient aucun répit, jusqu'à ce qu'il trouve la solution. Mais comment la trouver ? En "testant", au petit bonheur ? En attendant, il se sentait un peu perdu, et avait conscience que ses réactions étaient parfois un peu trop disproportionnées - ou pas assez, selon le tournant qu'avait pris son esprit dans le fourmillement de son questionnement. Là en l'occurrence, c'était un peu "too much", il le reconnaissait.

Il quitta la cuisine d’Owen où il s'était enfermé pour téléphoner en urgence à la musicienne, et regagna le salon. Cela faisait quelques jours déjà qu’il passait ses nuits chez Owen, ce dernier l’avait gracieusement hébergé, le temps de régler l’autre gros problème, celui qu’il ne pouvait désormais plus cacher. Les photos des enfants qu’il s’apprêtait à racheter, le mariage avec Stella Lionheart ayant été annulé grâce à son avocat. Il restait le problème des photos, le prix était bien cher, mais rien il s’en fouttait, il aura la somme, il s’agissait de sa famille ! Wayne avait retrouvé son humeur massacrante : c'était typiquement le genre de situation qu'il n'aimait pas! Wayne était en train de faire passer différents profils de batteurs, sa mission, souvent la même lorsqu’il s’agissait d’Owen, était de trouver le bon, et que ce soit pour de bon ! Se faire défiler de ces profils commençait à lui refiler un mal de crâne du tonnerre. Hourra. Owen venait d’entrer dans son salon en lui, avec ce qui semblait être une grande tasse de thé ! Il remerciait le ciel que ce soit du thé et non du café, il avait besoin de se détendre un peu.

« Je suis en train d’étudier les profils de différents batteurs. Je te promets que le prochain sera le bon ! » Dit-il d’un air motivé et presque serein. Il se demandait pourtant s’il était sage qu’il prenne à nouveau cette responsabilité. Il avait insisté la dernière fois pour que ce soit justement lui qui lui trouve un batteur, et il avait cru avoir fait le choix ultime en la personne de Nour, mais au final, il avait foiré…Peut-être devrait-il laisser faire Owen. Il y pensait, puis reculer. « Je sélectionnerai juste quelques-uns et tu les auditionneras toi-même… » Il disait des choses, mais n’était pas certain de ses mots. Owen est son joyau absolu, et il avait souvent l’impression de ne pas être assez bon dans les choix qu’il faisait pour lui.

Pensif, ainsi était Owen, un stylo noir entre les doigts de sa main droite, une feuille blanche, vide, placée sur la table sur laquelle reposait également ses bras. Le regard ailleurs, l’esprit ailleurs. Il tentait pourtant d’écrire, quelques mots sur le papier, quelques mots qui porteront plus tard une chanson sur la voie du succès. La musique, ou ce lien, ce pont entre lui et le monde, ce monde qui ne lui semble désormais plus, s’écrouler de jour en jour. Le simple fait d’écrire quelques lignes pouvait à la fois lui servir et servir aux autres. Virtuose des lettres ? Génie de l’imagination ? Il ne s’est encore jamais considéré comme tel, il se contente de s’auto satisfaire en restant constructif et communicatif. Grâce à cette rédaction, beaucoup de faits, peu importants au premier abord, prennent un autre visage car toujours dans l’éventualité d’être relatés. Il donne ainsi beaucoup plus d’importance à ses observations sur ce qui l’entoure qu’auparavant. En fond sonore, Stairway To Heaven des Led Zep’. Il y a certaines chansons qu’il ne peut plus entendre, je ne parle même plus d’écoute. Ce ne sont plus des notes de musiques qui accompagnent des mots ou des phrases qui épousent la mélodie, tout est devenu image, comme de simples feuilles jaunies par l’imprécision du temps et des souvenirs. Comme ce disque de 86, pochette en noir et blanc. Il revoit ce poster immense qu’un copain travaillant chez Virgin lui avait offert, agrafé sur le mur et sur lequel venaient s’appuyer de simples étagères de bois en guise de bibliothèque. Il ressent cette impression de bonheur alors imperturbable car inconscient. Lui, grand collectionneur de vieux vinyles, autant que collectionneur de guitares. Son chez-soi était une boite à musique, sans cesse en mouvement sans exagération malvenue. Pourtant, dans le fond, il sentait que l’inspiration lui faisait faux bond, comme aujourd’hui, il a passé des heures sur cette chaise, le regard au loin, la feuille toujours aussi blanche, et le vinyle qui tourne puis se remet en marche, sans arrêt.

Rien, ne pouvait le faire arracher à ses pensées, et quelles pensées ? Si certaines musiques semblent ne pas avoir vieilli, elles portent en elles une désespérance parfois difficile à supporter à leur écoute. Faire l’effort de les écouter est, en quelque sorte, les remercier de lui avoir tant donné. Ses pensées sont tournées vers son passé, car la vie d’Owen Campbell a connu bien des choses. Ne vous en faites pas, Owen Campbell will always be Owen Campbell, son allure, ses gouts, sa façon de faire ne changera point, mais la vision qu’il gardait sur certains sujets risquerait d’être bousculée. Rien, j’avais dit que rien ne pouvait le faire sortir de son ailleurs ? Excusez-moi, je me suis trompée car la vibration de son téléphone portable sur la table venait de le réveiller, lui demandant de redescendre sur terre. C’était son producteur, Anderson Acciari, qui lui fixait rendez-vous demain, sans doute pour discuter de la date de sortie de son album enfin finalisé. Le fruit de tant d’années. Une absence longue mais nécessaire. Il quitta son bureau et descendit jusqu’au salon ou il trouva Wayne. Son manager avait élu domicile chez lui, depuis déjà pas mal de jours. Il semblait si occupé, qu’il ne réalisa pas la présence d’Owen. L’artiste s’engouffra alors dans sa cuisine, et en ressortie avec deux tasses de thé. L’une pour lui, et l’autre pour Wayne. Il lui tendit celle-ci alors qu’il lançait le sujet épineux du batteur. Il y avait cru, à Nour, il y avait cru tellement fort, peut-être trop même. Wayne n'avait rien à se reprocher. La situation ne dépendait pas de lui, ni de sa volonté, ni de rien d'autre qui lui soit associé. Cette place maudite auprès d’Owen, celui du drummer. Jamais personne n’a su tenir en place…Et il y pense, au dernier batteur qui avait juré être là pour toute la vie. Il y pensait à son passé. Il y pensait à Duncan Livingstone…

« Wayne ! » Dit-il, cherchant à avoir l’attention de son manager et ami. C’est seulement lorsqu’il daigna poser le regard sur lui qu’Owen poursuivit. « Ne fait pas de sélections, envoie-moi les profils et laisse-moi, m’en occuper ! » Wayne avait d’autres chats à fouetter, il connaissait sa situation, il devait penser un peu à lui, à sa famille, à ce qui comptait vraiment. « Anderson m’a fixé rendez-vous demain pour discuter d’une date pour la sortie de l’album, il ne t’a pas contacté ? » Anderson est un homme pointilleux, et bien organisé, il se doutait un peu qu’il ait oublié d’en informer Wayne. Ce dernier se donnait beaucoup de mal en ce moment. Il voulait tant l’aider, mais ignorer comment s’y prendre. « Ça avance, cette affaire ? » Posait-il finalement la question. « Cette affaire », comme s’il n’osait guère la nommer. Probablement parce que Wayne évitait d’en parler, à chaque fois.

Wayne était en détresse, et refusait de se l’avouer. Il était pourtant vain de tenter de cacher ce fait face à Owen. De tous les artistes que Wayne a pu gérer dans sa vie, Owen est sans l’ombre d’un doute celui qui le connait le mieux. Si Wayne a été témoin du meilleur comme du pire venant de l’Artiste. On peut dire que cela vaut aussi dans l’autre sens. Cette relation de cordialités et de profond respect a fini par se transformer en amitié. Plus même, Wayne se voyait être le grand frère. Malheureusement, il n’incarnait plus l’exemple à suivre, mais celui à fuir. En effet, ces derniers temps, il avait non pas l’impression, mais la certitude qu’il ne commettait que des bourdes. Le pire est qu’il avait des difficultés à corriger ses ratés. Il avait fait confiance aux mauvaises personnes, et il s’était bombé d’une assurance qui ne tenait pas du tout la route. Il ne voit plus ses enfants, ni Eden. A cause de son propre passé, qu’il n’avait pas pris le temps d’en effacer les traces les plus problématiques. Dans son boulot, il avait mis un groupe à la porte, et s’en était senti soulagé, avant de plonger dans la culpabilité de ne pas être à la hauteur. Le départ de Nour fut la goutte qui a fait déborder le vase. La cigarette qu’il avait arrêté depuis la naissance d’Erwan, était synonyme de tentation à laquelle il avait beaucoup de mal à résister. La bouteille, il y cédait certains soirs, se sentant honteux le lendemain lorsque ses responsabilités l’appelaient à nouveau. Et si la balance de ses finances tenait le coup, il savait qu’il allait en débourser la totalité à son erreur du passé, à cette maudite Stella, il la haïssait !

Owen avait été un hôte exemplaire. Depuis son retour d’exil, il avait gagné en maturité, il était plus sage, plus raisonnable, plus équilibré. La frustration de ne pas être à la hauteur de la stabilité de son protégé était à son comble. Lorsqu’il l’interpella par son prénom, il savait que ce n’était que pour alléger le poids sur ses épaules. Et si cela aurait dû lui faire plaisir, l’inverse se manifesta en lui. L’évidence même de son incapacité à gérer les choses, pour l’Artiste en lequel il croyait le plus, celui qui comptait le plus et s’élevait au-dessus de tous les autres. « Ce n’est pas à toi de faire ça, Owen » Et pourtant, il serait plus sage de céder à sa demande. « Bon, je te laisse faire, mais tu me fais signe en cas d’hésitation ou si tu veux plus de détails, ok ? » Il le connaissait assez bien pour savoir qu’Owen ne le fera pas, qu’il se débrouillera seul et c’était encore plus douloureux pour lui, c’était de sa responsabilité, après tout.

Lorsqu’il lui parla d’Anderson et du rendez-vous de demain, il sentait qu’il allait exploser ! « Putain ! » Dit-il en serrant les dents, sa main tombant brusquement et violemment sur son genou. Se maudissant, s’insultant, grattant nerveusement sa barbe et se mordant à présent l’intérieur des joues. « Je n’ai aps oublié ! Je n’ai juste pas vu le temps passer…Bien sur qu’il m’en a parlé, et je sais que c’est mercredi et que mercredi est demain ! » Il a perdu le fil de l’écoulement des jours. Il ne sait plus ce qu’est le weekend, le mardi, le vendredi, il ne sait plus. Quel raté il était en train de devenir ! Tentant de se ressaisir, il fixa Owen du regard face à sa question, son poing empoignant son thé d’une telle force, il lâcha finalement. « Assez, le mariage est officiellement annulé… » Une victoire, mais elle n’avait pas ce gout. « Et l’argent va être la solution pour les photos, faudra payer…et cette peste va demander une somme astronomique, et qui sait ? Peut-être même qu’elle en gardera une copie quelque part…Elle a déjà détruit des vies » Il pensait au cas le plus récent, celui de l’actrice Bethany Wilson, Stella n’avait pas hésité à la lyncher.

Le lien entre Owen et Wayne, avait toujours eu sa particularité. Depuis l’époque des Morten Bluz, quelque chose qui n’existait pas entre le manager, et les autres membres du groupe. Cette confiance, pourtant, Owen n’avait pas su lui accorder toute sa valeur, en des temps qui furent sombres pour l’artiste. Son but principal ayant toujours été de ne jamais avoir à inquiéter qui que ce soit dans son entourage, Owen a échoué à bien des reprises là-dedans, ce qui ne pouvait que le blesser et baisser l’estime qu’il pouvait poser sur sa propre personne. Cependant, avait-il eu confiance en Wayne, a-t-il confiance en lui ? Évidemment, la réponse est positive. Et Wayne, avait-il confiance en Owen ? S’il a cru en lui depuis le premier jour, c’est qu’une certaine forme de confiance a toujours été là. Toutefois, il avait bien cru qu’elle ne serait plus au gout du jour, lorsqu’il lui avait caché sa tumeur. Et il eut tort. Wayne avait su être là, malgré tout. Aussi funeste que cela puisse sonner aux oreilles, Owen dira qu’il a surtout eu confiance en la mort et durant un bon bout de temps, plus qu’il n’a eu confiance en la vie et en toute autre chose, que tardivement. Face à la mort, des milliers de petits problèmes qui nous semblaient insurmontables, apparaissent tout à coup insignifiants.

Le regard d’Owen s’est transformé, il avait redécouvert la nature, les arbres, les fleurs, les oiseaux qui passent, le spectacle de la vie qu’il a failli perdre étaient devenus poignants. Bonheur de respirer, de sourire, de retrouver la simple joie de vivre. Tout à coup, il vit au présent avec une étonnante sérénité. La mort, cette angoisse existentielle, l’avait invité à chercher un sens à ses actes (encore plus que d’habitude), elle l’a délivré en lui ouvrant à la spiritualité et lui rappelant qu’il faut fonder sa vie sur des valeurs bien précises. Le système de valeurs est souvent bouleversé, l’attachement excessif aux biens matériels disparait. Le goût de vivre est décuplé accompagné d’une certaine ouverture relationnelle. L’existence prend un sens spirituel qui n’a rien à voir avec la pratique religieuse. Bien entendu, tout le monde n’a pas la « chance » de croiser le chemin de la mort. Il faut nous concentrer pour retrouver cette peur fondamentale qui est à la racine de l’apparition de la conscience chez les humains. Il nous faut démasquer les apparences et les faux-semblants qui maquillent notre existence, pour la retrouver tapie au fond de nous. Owen avait su profiter de son exil, de sa solitude, tel un comédien, dans la peau et l’état d’esprit de quelqu’un qui allait mourir. Ces autosuggestions, lui ayant permis de faire tout bonnement le bilan sur sa vie, lui ont également permis d’évoluer en un certain sens. De mieux valoriser, la chance qu’il avait, d’être aussi bien entouré.

« Ok, je n’hésiterai pas » Owen fera surtout en sorte de s’occuper de cette tâche sans avoir à alerter Wayne ou avoir besoin de son aide. La situation avait tourné, le disque n’est plus le même. Aujourd’hui, la personne a avoir besoin d’aide est Wayne, certainement pas Owen. Il avait pleinement conscience que Wayne n’était pas quelqu’un qui se plaint, ni qui se confie réellement. Il arrive cependant des moments dans la vie, ou il serait bon de se vider un peu. Wayne traversait en ce moment des moments, assez durs à vivre, il ne pouvait point le cacher face à Owen. Un manager incapable de distinguer quel jour de la semaine on était ? Cela sentait mauvais. « T’es pas obligé de venir… » Il porta son regard sur le sien, ses mains entourant sa tasse de café, et ajoutant pour donner plus de précision à ce qu’il entendait par là. « Il y a des choses bien plus importantes dont tu as besoin de t’occuper en ce moment. Je n’en suis pas à mon premier album, et je connais Anderson depuis des années. Alors…fais ce que t’as à faire » Particulièrement si les choses avançaient. L’annulation de ce mariage à Las Vegas avec la pire des journalistes qui soient, était une victoire en soi. Wayne n’avait le droit de freiner ou de relâcher à présent que les choses se réglaient. Un sourire étira les lèvres face à cette nouvelle, posant sa tasse sur la table, il prit un air pensif tout en partageant ses pensées. « C’est pour ça que tu as un avocat, non ? Il faut qu’il y ait un accord écrit et signé qui prouve que toute copie a été effacée. Et puis si t’as besoin de quoi que ce soit…Si je peux aider d’une quelconque manière, tu me le dis, ok ? » Les rôles s’inversaient presque à cet instant. Son « grand-frère » qu’il aimait surnommer Daddy pour le charrier, avait besoin de penser à lui et à sa famille, et à oublier un peu le reste !

Jadis, c’était le regard d’Owen qui se faisait fuyant lorsque Wayne le fixer. C’était Owen qui vivait des problèmes et que son manager ne l’apprenait toujours, qu’un peu trop tard. Les mains tremblantes, les jambes qui ne tienne t plus, ça n’a jamais été des symptômes qui apparaissaient chez Wayne. Et pourtant, ce dernier en était arrivé bien là, ou les rôles se retrouvaient inversés. Il se sentait d’un coup petit, lorsqu’Owen lui suggéra que sa présence n’était pas nécessaire et qu’il devait plutôt s’occupait de ses problèmes, des problèmes de couple, de famille, assurément plus important que le reste. Mais Owen, lui aussi, était de la famille. Petit, inutile, il essayait de ne pas penser à son impuissance et son manque de réaction et d’initiatives ces derniers jours, voire, ces dernières semaines. Alors qu’Owen lui parlait, le manager tentait de positiver ses pensées. Les bons moments, il en avait passé avec son protégé. Il se demandait pourtant, pourquoi il y avait toujours un évènement pour bouleverser nos vies, Pourquoi la vie n'était pas un long fleuve tranquille ? Ça doit être pour cela que nous pleurons tous à la naissance, on se doute de toutes les claques qu'on va prendre durant notre vie, alors forcément, on n'est pas très heureux de quitter ce ventre dans lequel on se sentait tant en sécurité. La vie n'est qu'un court voyage alors pourquoi il ne ressemble pas à un séjour dans un hôtel de luxe cinq étoiles avec SPA, piscine et massage à volonté ? Au lieu de ça on doit se contenter d'un séjour dans un hôtel deux étoiles en plein travaux qui subit parfois des effondrements ...

Wayne est conscient que l’Artiste ne cherche d’autre, que d’alléger un peu le poids sur ses épaules. Mais les mots, ont parfois un effet contraire. Wayne se sentait réellement minable, de ne plus arriver à gérer, de ne plus se souvenir des rendez-vous qui concernent l’artiste à qui il donnait le plus d’attention dans son travail. S’il avait oublié ce rendez-vous important avec Anderson, dieu sait ce qu’il avait pu oublier pour tous les autres artistes qu’il gérait. Les battements de son cœur accélérèrent, il retenait presque son souffle. Je m'attendais au pire et lui ne savait pas comment m'annoncer cette chose qui allait sans doute me bouleverser. « Tu fais partie de ce que j’ai à faire, Owen » Venait-il de laisser glisser sur un ton ferme mais son regard trahissait son véritable état, celui d’un incapable, tout simplement. « J’y serai, à ce rendez-vous » Hors de question de le rater. Wayne vit toujours avec cette vérité, celle qu’il lui murmure qu’il a raté beaucoup trop de choses concernant Owen. Son addiction à l’héroïne, ses envies d’en finir, sa tumeur…Toujours en retard, toujours en position d’échec total. Il s’était promis de ne plus refaire les mêmes erreurs, de se montrer plus vigilant, plus présent. Il avait des problèmes, il n’irait pas le nier. Mais faire son boulot est aussi une nécessité pour qu’il ne perde pas la tête. Alors même, qu’il n’arrive plus à bien le faire, ce boulot. Toute une contradiction.

Il leva le regard sur Owen, attendrit par lui et sa déclaration. C’est qu’il lui rappelait tellement son meilleur ami, d’avant. Celui qu’il avait déçu, et qui n’est plus désormais. Il posa une main sur l’épaule de ce dernier, en effectuant une légère pression. « Merci, Owen… » Dit-il, avant de ne retirer sa main et de laisser son regard couler dans son thé encore chaud. « Tu ne devrais pas te faire autant de souci pour moi, comme tu dis…l’avocat sait sans doute ce qu’il fait. J’ai juste envie que cette histoire soit définitivement derrière moi » Eden lui manquait, ses enfants lui manquait. Il ne voulait plus penser à ce passé. Celui d’un homme qui prenait la vie à la légère. Ses erreurs, il espérait ne plus avoir à y faire face. Le passé, lui rappelait également celui de son protégé. Cette histoire de batteur, elle lui glissait un nom qui avait toujours été synonyme de mystère chez Owen. « As-tu pensé à Duncan ? » commençait-il suite à une gorgée. « Il était en osmose avec ta musique…Je n’ai jamais pu retrouver sa trace, mais…peut-être que toi, tu as une idée, peut-être qu’il voudra reprendre maintenant que tu vas être de retour sur scène » Il déviait le sujet, le repositionnant sur Owen et son problème, au lieu de ses problèmes à lui.

Le souci d’Owen, c’est de se faire du souci. Et il détestait être le générateur de ce type de réflexe à autrui. Mais sans qu’il ne fasse ou ne dise la moindre chose. Il était au courant du fait que Wayne, avait lui-même ce même réflexe, sans doute l’avait-il acquis davantage en devenant manager. Et à la première parole prononcée, à l’observation de l’expression qu’il prenait… Owen savait que Wayne s’inquiétait déjà. Les soucis ou les inquiétudes font partie de la vie quotidienne. Il est humain de s’en faire à propos d’événements que l’on craint voir se produire. Les inquiétudes se définissent comme un ensemble de pensées, d’images et de doutes qui s’enchaînent et qui concernent des événements négatifs probables. Contrairement aux ruminations qui réfèrent à des situations passées, les soucis touchent toujours des situations futures éventuelles. Ces anticipations négatives engendrent un malaise physique et psychologique qu’on connait tous, on le nomme communément anxiété. Emotion souvent accompagnée de gênes en tout genre. Les gens qui se font beaucoup de soucis sont ces scénaristes exceptionnels, ils sont passés maîtres dans l’art d’imaginer des scénarios catastrophiques. Pourtant, à l’heure du jour, Owen refusait de s’imaginer ce type de scénario, ce sont des images plus joyeuses qu’il désirait pour Wayne. Il s’en fichait un peu de trouver un batteur, il saura que si ce n’est pas lui qui arrivera à se décider, Anderson le fera en producteur et chef de label. La problématique du batteur n’en était pas réellement une. Ce que vivait Wayne était nettement plus important !

« Si tu insistes… » Dit-il sans grande conviction. Certaines personnes sont convaincues que s’inquiéter leur est utile, et c’est ici bien le cas d’Owen. Il est judicieux de noter qu’il n’avait trouver d’autres moyens de se rendre utile pour son manager. C’est du moins, l’impression qu’il avait, qu’il a toujours eu, d’ailleurs. « Je comprends » Il comprenait l’envie de mettre cette histoire aux oubliettes. Un peu moins cette motivation à vouloir la régler sans aide. C’est assez ironique si vous voulez mon avis, lorsque l’on sait qu’Owen lui-même a souvent voulu régler ses propres soucis sans en inquiéter qui que ce soit dans son entourage. Ces deux là se ressemblaient beaucoup, bien plus qu’ils ne voudraient l’admettre. « Je suis là, en tout cas » Se voyait-il, ajouté naturellement. Rappelant par ces simples mots, accompagné d’un regard bienfaisant, que Wayne n’était pas seul, et il ne devait jamais se sentir seul. Et voilà que son rythme cardiaque s’accélère face à la question posée. Changement de sujet, retour vers une problématique et l’hypothèse la plus ardue venait d’être posée. « Comment ça ? » Arrivait-il à demander sous une confusion foudroyante et tournoyante, son esprit fut d’un coup embrumé, et embrouillé. Parler de Duncan a toujours été le sujet fâcheux pour Owen. Depuis que le batteur avait tout quitté, l’avait quitté, Owen s’est promis de ne jamais repenser à lui et à ce qu’il y a pu avoir entre eux. Wayne ignorait bien des choses sur ce lien, sur cette osmose qui ne fut pas que musicale et artistique. Détestant parler de lui, verser sa peine, expliquer le tout. L’Artiste devait faire un effort, un effort de vérité qui faisait mal à prononcer, qu’il aurait voulu garder pour lui jusqu’à sa tombe. Les choses, ne se passent que rarement comme on l’aurait voulu.

« J’en doute fort... » Il soupire, ne trouvant la bonne approche pour dire ces choses. A chaque fois, ça a été dur. A chaque fois, il doit se soumettre aux réactions d’un corps affaiblis par les souvenirs, aux émotions torturantes. Mains moites, un nœud au ventre, la bouche sèche … Son regard croise une seconde celui de Wayne, il pose sa tasse de thé sur la table et le premier mot se déclare enfin… « ça a toujours été compliqué avec Duncan. Tu as dû le remarquer toi-même, mais…c’était plus que musical entre lui et moi » Le terme le plus approprié aurait été, plus « amical ». Owen n’était pas encore prêt à lâcher ces choses, avec toute tranquillité d’esprit. Son regard remonte une nouvelle fois sur celui de Wayne, laissant quelques fractions de secondes s’écoulaient dans le silence pour reprendre en se pinçant les lèvres. « Je peux le recontacter, mais je doute qu’il voudra revenir…Il est trop fier pour ça, et ça fait cinq ans ! Il a dû passer à être chose » Voulait-il convaincre Wayne, ou se convaincre lui-même ? La ligne entre les deux était bien mince

Il est certain que Wayne avait été là pour sa carrière, et il l’avait conseillé à de nombreuses reprises, même sur sa vie privée, il était conscient de l'avoir aidé et d'avoir été un bon manager, mais le moment le plus difficile avait été son cancer. Un tas de questions avaient tiraillé l’esprit de Wayne à cette époque : Est-ce que j'allais être à la hauteur et pourrait répondre à ses besoins correctement ou est-ce que j'allais me planter ? Il avait déjà perdu son meilleur ami quelques années en arrière, mais ce fût un accident donc il n'avait en aucun cas pu tenter de le soutenir ou de l'aider... ce fût brutal. Et il s’est longtemps demande si la brutalité n'est pas plus facile à accepter que la lente et longue souffrance ... Il ne savait pas à quoi s'attendre, il se lançait à ses côtés avec une seule idée en tête *tout ira bien*, mais en réalité ça il n'en savait rien, il l’avait surtout espéré. Et Owen, son protéger ultime, avait dû faire face à un combat d'une difficulté extrême. Celui qu’il avait essayé de préserver au maximum de toutes les saletés de ce monde, avait été atteint par une saleté qu’il n’avait pas vu venir. Il avait su que le combat allait être dur, mais il avait su encore plus qu'avec l'entourage exceptionnel qu'il avait, et s'il s'accrochait à la vie, il allait pouvoir surmonter tout ça. Ils allaient pouvoir surmonter tout ça. C'était un combat pour tous, il n'était pas seul là-dedans. Ils n’allaient pas éprouver les mêmes souffrances physiques que lui, mais mentalement ça allait être compliqué pour tous ses proches. Et c’est précisément à cette période qui fut laborieuse, qu’il avait réalisé la proximité d’Owen et de Duncan, l’impact que pouvait avoir ce dernier sur l’Artiste. Il avait observé, questionné, mais jamais conclut ce qui unissait les deux musiciens. Chose certaine, leur alchimie musicale était incroyable, et s’il n’a jamais encore songé à rechercher Duncan, c’est parce qu’il sentait qu’Owen n’y était pas totalement à l’aise.

« Que veux tu dire, par plus que musical ? » Il est peut-être temps pour Wayne d’apprendre la vérité sur ce qui avait pu unir les deux jeunes hommes. Ce n’est pas une curiosité de trop, il se sentait comme…méritant cette vérité ? Cela n’allait pas changer grand-chose à l’état actuel des choses, ni même apporter quelque chose à sa vie, pensait-il. Mais le mystère Duncan a trop duré. Owen venait de le dire, cela fait cinq and déjà qu’il avait disparu. Pourtant, il avait l’impression que ce nom, avait toujours un impact sur Owen. « Je veux dire, il n’avait même pas pris le temps de discuter de sa rupture de contrat…il avait juste disparu au moment… » Oh, il se demandait s’il était sur la bonne piste. Une réalisation venait d’éclairer un peu mieux sa vision. Son regard s’attarda sur Owen, il avait un air de réflexion mais aussi de réalisation à ce moment. « Au moment ou tu avais choisi l’exil…Est-ce que, c’est relié ? » D’un coup, Wayne se trouvait envahit de pensées négatives, de remise en question déprimante. Et s’il y avait une histoire bien sombre entre Owen et Duncan. Le manager avait fait confiance au batteur, à l’époque même des Morten Bluz, et là, il réalisait qu’il aurait dû questionner certaines choses. Comme le fait qu’il connaissait Owen, mais d’où exactement ? Il n’avait jamais réussi à identifier ce fait.

« Owen, je ne veux pas te forcer mais…est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir, ou que j’aurais dû savoir ? » Ajoutait-il, un peu incertain sur le coup.

Il se rendait compte que son obsession du secret ne servait pas toujours à réaliser ses souhaits. Combien de temps avait-il pu préserver son cancer aux autres ? Bien plus longtemps qu’il n’aurait jamais pu l’imaginer. Pourquoi l’avait-il fait ? Car il prévoyait une mort face à ce fait, et non le scénario qui s’était finalement imposé. Et annoncer sa propre mort, il en avait été incapable face à certaines personnes. Dire que c’est en ce geste une action de lâcheté qui se présente, serait bien trop faux à mes yeux. Sans doute, faut-il connaitre un minimum le passé d’Owen, sa philosophie et sa vision de la vie, pour arriver un jour à comprendre entièrement ne serait-ce qu’une facette de sa personnalité. Ne vous en faites pas, je ne risque point de vous servir un discours sur l’incompris qu’il avait pu être. Ce discours-là, ne vaut plus grand chose. Car, c’est un peu ce qu’il tentait de faire, depuis qu’il avait quitté ce bloc opératoire, depuis une poignée d’années : passer à autre chose. Toutefois, il y a du mystère en chacun de nous, du secret que nous conservons sans en être forcément le gardien. Il y a des secrets qui finissent par nous détruire. Pour d’autres, c’est leur révélation qui nous mène au gouffre ! Lorsque l’on vient à mentionner Duncan Livingstone, le secret subsiste. Est-ce parce qu’il regrettait ce qui a pu les unir ? Est-ce parce qu’il a toujours mal de son départ ? Non, rien de cela. Owen désirait juste garder le souvenir de ce lien, loin des jugements. Il lui semble à ce moment précis, face aux questions de Wayne, que le secret allait devoir se briser, ne serait-ce qu’un peu, et qu’il allait probablement pleuvoir de jugements, dans quelques secondes, ou dans quelques minutes.

Parler de Duncan est difficile. Il n’est question que d’un prénom. Il est pourtant question de tabou. Même entre amis proches, il subsiste des sujets qu’on sait fâcheux, sur lesquels on n’arrivera jamais à une entente, nos avis divergeront à chaque fois. Duncan, un prénom qui porte en lui tant de significations aux yeux d’Owen. « Je ne sais pas quoi te dire, ni par où commencer… » Évidemment, il pourrait commencer par le début. Par expliquer la première rencontre, le contexte, l’état d’esprit dans lequel il se trouvait dans les premiers temps. Narrer longuement comment il s’est retrouvé bien plongé dans la drogue. Donner les détails d’une amitié « nourrissante ». Puis, tenter d’apporter sur le tapis les désirs inconscients qui naissent d’un geste qui nous parait anodin, plaisantin. Finir par décrire l’amour naissant, celui qui change tout ! Le secret cependant, le besoin de se préserver, de garder pour soi ce qu’il considère comme une appartenance personnelle. Un droit à une intimité dont personne ne devrait se mêler. Le sujet tabou est en général le sujet qui est recouvert d’une telle chape de plomb de conformisme, de bons sentiments, qu’il nous empêcherait de voir la réalité et de l’analyser en toute rigueur. Wayne avait toujours vu du bon en Duncan. Et Owen refuse de faire porter le chapeau de son overdose à celui qui a littéralement, partagé sa vie. Ce n’est jamais par plaisir ou par mauvaise volonté qu’on construit un secret. Mais parce qu’on a la conviction qu’on ne peut pas faire autrement. Les raisons qui poussent à garder le silence sont en effet douloureuses. Une logique qui nous piège dans des dilemmes inextricables. Un seul critère peut nous guider : chacun a le droit de tout connaître de sa propre histoire. Comprenez par-là, qu’Owen n’a de ce fait la moindre obligation de révéler certaines choses à autrui. Cependant, il éprouve celle de défendre celui qui avait fait bien plus pour lui que n’importe qui d’autre de toute sa vie. Duncan avait contribué à son bien-être, à un bonheur qu’il n’avait jamais pu gouter auparavant. Le dire à Wayne, il ne s’en sentait pas prêt ...Pas totalement.

« C’était intense entre lui et moi… » Soufflait-il, passant une main dans sa chevelure, en posant sa tasse thé, ses doigts s’entremêlaient, jouaient, ses mains se briquaient. Pourquoi devrait-il savoir quoi que ce soit ? Il se sentait déchiré, entre l’envie de préserver l’image de Duncan, la confiance que Wayne avait posée en lui. Et puis, y mettre un terme, dire les choses et oublier cette histoire et ce nom, pour de bon ! « Je l’ai connu bien avant les Morten Bluz, on était amis, on était même dépendant l’un de l’autre sans même le réaliser… » Non, il refusait de dire qu’il avait été son dealer, car cela briserait trop de choses. Owen est parfaitement conscient que les mots qui quittent sa bouche ne sont pas des plus clairs, mais Wayne devra s’en contenter. Il remonte un instant son regard sur celui de son manager, avant de soupirer une nouvelle fois, et poursuivre. « C’est grâce à lui, si j’avais pris la décision de dire oui à un traitement…C’est grâce à lui que j’ai pu me relever, et oui c’est peut-être parce que je l’ai mis de coté en partant en exil, qu’il a décidé de tout quitter… » Il ne savait pas, il n’en était pas certain. « Il a été à un moment donné la personne la plus importante dans mon existence…Et il continuera à l’être, d’une certaine façon » Il a aimé cet homme, une part de lui continuera à le faire, une part de lui n’oubliera jamais Duncan Livingstone. Jamais. « Ce qui a pu nous lier était…unique ! C’est tout ce que je peux te dire…Et l’avoir à nouveau comme batteur me comblerait de joie. Mais je ne miserai pas là-dessus pour autant » La fierté de Duncan était bien trop estimable pour qu’il puisse s’imaginer le revoir, un jour, devant sa porte. « Aucun batteur au monde ne pourra avoir la place qu’il avait eu auprès de moi. Je ne cherche pas quelqu’un comme lui car il n’existe pas…Je veux juste, une personne qui sera passionné par la musique jouée, par le public, et qui ne quittera pas le post pour des raisons absurdes » Il se mordit la lèvre à cet instant, posant le regard sur Wayne, insistant sur un fait. « Je trouverai un batteur, qui sera prêt pour la sortie de l’album. Laisse-moi cette responsabilité, et sois tranquille pour le reste…tu peux faire ça ? » Lui aussi, avait besoin qu’on lui fasse confiance.

Souvent, Wayne ne pouvait s’empêcher de penser à Killian, lorsqu’il était en compagnie d’Owen. Killian, ce meilleur ami perdu il y a de cela des années, et pourtant, il continuait à avoir une influence sur la vie de Wayne. Car cette perte, Wayne s’en tient pour responsable, le « si j’avais » le hante à chaque fois qu’il pensait à lui. Le « et si j’avais » existe aussi dans sa relation avec Owen. Il était passionné, artiste incompris comme l’avait été Killian. Et s’il ne comprenait pas tout ce qu’était en train de lui confier quant à la nature de sa relation avec Duncan, il saisissait bien l’intensité, l’unicité, et aussi la singularité de ce qui avait pu réunir les deux hommes. Il devinait que par plus que musical, Owen avait voulu dire, plus qu’amical. Est-ce qu’il en était surpris ? Pas vraiment. D’après ce que Wayne a pu observer, Owen a toujours été discret quant à sa vie. Il ne lui connait pas de conquêtes, ni de partenaire plus ou moins officiel. Il serait même incapable de dire le moindre mot sur cet aspect de la vie d’Owen. Un silence, un vide, un secret bien tenu par ce dernier. Il ne saurait même pas dire s’il avait le moindre intérêt de ce côté-là. Il n’avait pas besoin de savoir ces choses, mais en manager et ami proche, il devait avoir connaissance de certains petits détails, pour gérer l’image publique de don artiste fétiche.

Il avait le sentiment qu’Owen lui en avait déjà dit trop, mais pas assez pour autant. Il respectait cela, il n’avait pas l’intention de fouiller plus loin. Chacun a son petit jardin secret. Mais face aux mots de l’Artiste, Wayne ressentait pour la première fois, l’envie de s’épancher à son tour sur le lien mystique de sa vie, celui qu’il l’avait relié à Killian, et qui continuait à vivre en lui. « Il y a des relations dans nos vie qui sont si particulières, qu’on s’en retrouve incapable de les nommer ou de les décrire à leur juste valeur… » Il n’avait pas été dépendant de Killian. Il l’était tout de même aujourd’hui d’Eden, et cette séparation lui fait un mal qu’il supporte de moins en moins. Il porta sa main sur son épaule, une main censée dire qu’il comprenait, qu’il n’avait pas besoin d’en savoir plus. « Je n’ai jamais vraiment pu me remettre du décès de Killian…Je n’ai jamais pu avoir de nouveau ‘meilleur ami’, si je puis dire. Il a été le seul, l’unique…et Je m’y suis fait à ce qu’il le reste » Il serrait les dents, essayant de rester fort devant lui comme il l’avait toujours été. Il remonta doucement le regard sur celui d’Owen, alors que sa main glissait hors de son épaule. Il poursuivit sur un ton posé. « Je comprends ce que tu veux dire, Duncan est irremplaçable pour toi… » Qu’importe la nature de leur relation, au bout du compte, il réalisait qu’il n’avait pas besoin de ce détail, et même si la dépendance mentionnée pouvait laisser apparaitre des questionnements dans son esprit de manager protecteur, il laissait tomber à présent qu’il pense comprendre.

A la question d’Owen, Wayne marqua une pause. Celle-ci dura même quelques longues secondes. Son hésitation n’était pas un manque de confiance. Il s’agissait davantage d’une nature chez lui à vouloir porter ses responsabilités, et aller au bout. Même s’il avoue que dernièrement, il avait du mal à voir la lumière au bout du tunnel concernant tous les différents soucis qui touchaient pas mal de ses talents managés. Mais laisser tomber Owen, hors de question pour lui, quitte à perdre tout les autres. Oui, être manager c'est un peu comme être Père dans le fond. Et un père, ça doit savoir lâcher et libérer quelques fois. Il poussa un long soupir en se frottant la barbe. « Ok, Owen… » Dit-il, en prenant un ait plus léger, plus confiant aussi. Non pas en lui-même, mais confiant vis-à-vis d’Owen. Cette mission, il pouvait faire en sorte qu’elle soit totalement de son ressort à lui. Il pouvait ne pas intervenir. Il pouvait ne pas demander de nouvelles et attendre que ce soit Owen qu’il lui en fasse l’annonce. Ce sera dur, mais il pouvait le faire. « Je ne demanderai rien et je n’interviendrai pas. Tu fais ça seul, en procédant comme bon te semble ! » Il quitta le canapé sur lequel il était assite depuis trop longtemps. « Profite bien de cette petite pause de ma part, car elle ne dura pas bien longtemps ! » Il allait régler ses problèmes à lui, et une fois ceci fait, il aura tout le temps et tout l’espace nécessaire dans son esprit pour s’occuper de lui. « Mais si tu as besoin de quelque chose, tu m’appelles…Je ne rigole pas, tu m’appelles ! » Ajoutait-il, car il jugeait cela important de le rappeler, à chaque fois.
 

Owen n’est pas totalement fermé à l’idée de parler de Duncan. Il préférait seulement préserver la mémoire de certaines choses, ne pas les laisser s’effriter à travers des paroles de trop, de moins, ou des mots mal interprétés. Ce n’est donc pas par souci du secret qu’il le faisait. Wayne en savait quelque chose, n’est-ce pas ? Si l’artiste était au courant de l’ami perdu en Killian, le manager n’a jamais désiré en dire plus. « Comme Killian l’est toujours pour toi » Ajoutait-il sur un ton fin, complice, le regard bienveillant. Il n’avait nul besoin de détails, il comprenait, il respectait. Ce sentiment avait tout l’air d’être réciproque de la façon la plus sincère qui soit. Et une nouvelle fois, sans le savoir, sans le réaliser, Wayne avait le comportement le plus juste, le plus adéquat face à Owen. Il avait bien été le premier à apporter une « vraie et authentique » reconnaissance du talent d’Owen. Certains me diront que, même en amateurs, Owen avait su charmer, et que c’est en amateur qu’il avait pu se faire entendre. C’est vrai, il était arrivé à se démarquer par son jeu de guitare ou son timbre de voix lorsqu’il poussait (bien rarement à l’époque) la chansonnette. Mais d’une personne qui croit totalement en lui ça, il ne l’avait pas connu avant Wayne. Sans doute ce qui explique la figure de « protecteur » que ce dernier avait pu avoir à ses yeux dès les premiers temps. Et être « reconnu » joue un rôle important dans notre équilibre. Nous avons alors la confirmation de notre valeur et de notre appartenance à un groupe. Nos attentes peuvent porter sur le fait d’être reconnu comme une personne digne d’être aimée, de confiance, ou d’exception. Pour un enfant abandonné, dès sa naissance, qui a grandi dans un orphelinat et n’a trouvé de refuge que de la musique, il est important qu’une fois passé à l’âge adulte, une personne puisse être en mesure de nous « reconnaitre ». A son arrivée à Londres, Owen était en quête d’amour, et pour cause, il avait tout juste quitté toutes personnes lui ayant manifesté cela dans sa jeunesse. Il avait dit au revoir à Faith, à Brandon, à tous ces potes de Manchester pour écrire une toute nouvelle page, qui avait eu pour lieu Londres. Et pour groupe, les Morten Bluz. Il avait beau posséder bien des atouts, son besoin d’être reconnu semblait se traduire par la quête d’une validation extérieure pour avancer.

Longtemps, et c’est considérablement moins le cas aujourd’hui. C’est dans une relation paradoxale qu’évoluait Owen avec lui-même. Je m’explique ; autant était-il en quête d’affection, autant se pensait-il ne pas être une personne qui mérite de l’attention. Voyez-vous, c’est la complexité même du personnage. Autant qu’il ne demande jamais rien à autrui, qu’il donne, qu’il tente de préserver l’autre en cachant ses souffrances…Autant a-t-il besoin de regards attentifs de temps à autres. Sauf que ce dernier point précisément, il n’en était pas forcément conscient. Wayne a peut-être compris ce mécanisme chez Owen, il y a de cela longtemps. Et pendant toutes ces années, il l’avait gardé, toujours dans leurs échanges, il était présent, ce reflexe d’être attentif, d’être présent. Les pôles doivent s’inverser, au moins pour quelques temps. C’est aujourd’hui Owen qui doit être attentif à Wayne, ce dernier devait se focaliser sur sa famille, et l’artiste veillait à ce que cela soit le cas. Owen, sera à jamais, reconnaissant envers Wayne, parce que ce dernier a su naturellement, lui apporter une reconnaissance perdue…ou que très peu expérimentée.

« Yes, Daddy ! » Répondit-il, à moitié taquin, à moitié lassé. « Vas-y, je ne te retiens pas plus longtemps…On s’appellera, et je te tiens au courant. Alors, à plus tard… » Un fin sourire fit apparition sur ses lèvres. Au fond de lui, Owen savait que Wayne avait besoin de rester seul un moment, et qu’il avait tout autant besoin de temps pour lui, pour ses enfants, pour sa famille. A sa façon bien à lui, Owen s’est juré qu’il fera en sorte que Wayne puisse disposer, de ce temps-là.