Cela fait une semaine, une semaine entière qu’Austin garde ce mal en lui, tente de comprendre pour mieux faire face et expliquer. Cela fait une semaine qu’il cache la vérité à Gabriel. Il n’avait pas voulu gâcher leur diner. Il avait espéré pouvoir revoir Nancy pour s’expliquer. Mais tout ce qu’il a fait cette semaine, c’est d’esquiver les rencontres, les conversations potentiels, les appels, tout ce qui pouvait mener à la confrontation. Il avait donné rendez-vous à Gabriel, chez lui. Il l’attendait, assist seul dans son salon, un verre de whisky à la main. Cherchant et préparant l’angle d’attaque pour ses paroles, Austin sait qu’il se devait de jouer la carte de la pure sincérité, il avait déjà perdu tant de temps. Non pas qu’il était du genre à mentir, ou encore à jouer avec son entourage, voire le manipuler. Ou, tout du moins, il ne le faisait jamais consciemment. Son but était simple, faire taire certains doutes que pouvait avoir Gabriel, tout lui raconter sur sa rencontre et discussion avec Nancy, et espérer que le résultat puisse faire diminuer son taux de stress accumulé depuis des jours. Certes, on ne peut dire qu’il trainait un mal de vivre, ou un mal être. Il avait déjà connu de véritables épreuves difficiles ou, tout du moins, mais celle-ci semblait être la plus délicate.

Selon lui d’ailleurs, certains problèmes ne se créaient que par notre volonté de se plaindre et de chercher du réconfort, de l’attention. Dans la manière de s’exprimer, dans l’attitude que nous dégageons, nous nous posons en victime afin qu’une situation tout bonnement banal, devienne un véritable problème récurrent que nous n’avions pas à l’origine. Mais par l’existence même de ce problème, nous réussissions alors à recevoir les témoignages de protection et d’affection que nous espérions, ou non. Pour Austin, il n’était pas du tout question d’attirer l’attention ou l’inquiétude des gens. Son envie était même de réaliser tout l’inverse de cela. Toute sa vie, il a su faire cela. Ne jamais se plaindre pour toujours que les autres aient un regard positif sur sa capacité d’adaptation et de gérer les problèmes. Reflexes d’un homme qui prend ses responsabilités à cœur. Ne pas se montrer en proie au doute offre aussitôt le privilège aux proches de ne pas en avoir sur lui et de ne pas éveiller de craintes à son égard. Taire volontairement tout ce qui blesse et apporte un tant soit peu de douleur guide sur le chemin de l’oubli de celle-ci. La douleur qui parait absente, mais qui est pourtant là, à le guetter.

Autrement dit, si derrière son attitude de tous les jours, Austin peut être considéré comme un poil dissimulateur envers les siens, cela n’est que pour leur bien. A ceci près qu’un détail finit tôt ou tard par lui échapper. Mais ce n’est pas un jeu ou le masque doit tomber. Il n’y a jamais eu de masque. Il n y a jamais eu de trahison. Alors pourquoi est-ce que Nancy l’a compris ainsi ? Ce que voulait dissimuler Austin, c’est le doute, la peur et les blessures. Il entendit taper à la porte, et il sentit un frisson lui parcourir tout le corps, Gabriel était arrivé. « Entre Gab’, c’est ouvert » Dit-il assez fortement pour que ce dernier l’entende, incapable de se lever et d’aller lui ouvrir lui-même. Aujourd’hui il ne serait pas un surhomme triomphant de tout ou encore un être avec une carapace en bêton que rien ni personne ne pouvait blesser concrètement, non. Aujourd’hui, comme tant d’autre avant lui, Austin est vulnérable ! Il l’est devant le seul être qui a réussi à le sortir du gouffre une fois, pourrait-il le faire une seconde fois ? Sachant qu’il lui a caché la vérité durant tout une semaine ? « Tu peux te servir ce que tu veux… » Son attitude peut sembler froide. Toujours assist dans son canapé, désignant ses alcools au loin, pour que Gabriel puisse se servir ce qu’il souhaite. « T’as passé une bonne journée ? » Dit-il, en se redressant et déposant son verre sur la table basse du salon. Passant une main sur son front, suivant Gabriel du regard. « Désolé de ne pas avoir été bien présent cette semaine…Il s’est passé un truc dont je dois te parler » Austin savait qu’il ne servait à rien de tourner autour du pot. Cela avait même trop duré…

La vie est faite de choix, il n’y pas de doutes là-dessus. Mais, a-t-on pour autant toujours le choix ? Austin dirait que cela dépend de la situation qui demande à faire un choix. Se sentir proche de Gabriel, émotionnellement lié, puis inexplicablement mais clairement attiré par lui n’a jamais été un choix. Cela a été l’accumulation de tant de choses, d’états d’âme, d’échanges, de confidences, de complicité presque inné et tout un processus de causes à effet qui était hors de sa portée. Parler de cela, c’est aussi parler du point de départ, qui avait été le divorce avec Nancy. Est-ce que ce dernier avait été un choix ? Oui, mais pas celui d’Austin, même s’il avait fait le choix de l’accepter. Cette séparation a eu un effet d’ondes de choc sur lui, il ne s’y attendait pas, il ne lavait même jamais voulu, mais c’était quelque chose qu’il a dû accepter parce qu’aimer, c’est aussi savoir laisser l’autre partir quand une relation ou même un mariage ne satisfait plus qu’une seule moitié du couple. Il lui semble qu’il ne peut pas évoquer son présent sans mentionner ce passé et l’impact que cela avait pu avoir sur lui et sur son existence. Parler de sa relation présente avec Gabriel, c’est parler de son divorce avec Nancy. Parler de l’un, c’est se souvenir de l’autre….

Alors, avoir éviter de confier à Nancy que Gabriel était le garçon avec lequel il eut sa seule relation avec quelqu’un du même sexe…était-ce un choix ? Il doit l’admettre, ce fut un choix. A l’époque, il ne voyait pas en quoi cela servirait à la moindre chose de partir évoquer à nouveau ce passé qu’il croyait enterrer à jamais. En quoi cela aurait été nécessaire pour leur mariage ? Quel bénéfice auraient-ils eu ? Dans sa logique, c’était une information dont chacun pouvait s’en passer, Austin n’aurait jamais pu voir cela comme une manifestation d’un quelconque manque de confiance.  Qui aurait pensé que cette succession d’événements dans sa vie en arriverait à la situation qu’il vit en ce moment même ? Et pourtant, il en est là ! Déchiré entre deux courants d’eau, se débattant avec la déception de Nancy et sa blessure à lui qu’il pensait pourtant cicatrisée et Lui, Gabriel…Cet homme qu’il aime aujourd’hui et qui se retrouve malgré lui au beau milieu d’un « problème à résoudre ». Austin voulait appeler cela insi dans sa tête pour se donner la force de le solutionner comme il sait si bien le faire lorsque cela a un rapport avec son travail. Sauf que là, comme le pointe les mots de Gabriel…est quelque chose de beaucoup plus délicat.

Depuis l’entrée du jeune homme dans son champ de vision, Austin ne pouvait pas le quitter du regard. Il le sentait tendu, et cela ne faisait qu’accroitre son propre malaise. Pire encore, les théories de Gabriel étaient, blessante pour l’une, et vraie pour l’autre. Submergé par son stress qu’il ne pouvait à présent plus masquer, Austin passa ses mains sur son visage en respirant un bon coup afin de ne pas s’emporter déjà, il ferma les paupières le temps de quelques secondes avant de n’ouvrir les yeux sur son petit ami, prononçant calmement mais avec fermeté. « Pourquoi je ne voudrais plus de cette relation ? Est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir ? » Austin fit le choix de montrer son choc et mécontentement vis-à-vis de ce que venait de dire Gabriel en posant ses deux questions, mais il n’attendit pas de réponse pour poursuivre. « Je n’aurais pas présenté les choses comme ayant tout craché, mais oui, elle le sait à présent ! » Il expire comme s’il portait sur ses épaules un poids insupportable avant de ne joindre ses mains en un poing et reposant son regard sur le jeune homme. « Je sais que tu aurais préféré que cela soit discuté…mais je ne pouvais pas ne pas lui dire vu ses interrogations…Et le comble c’est qu’elle m’en veut de ne pas lui avoir annoncé plus tôt que toi et moi, on s’était connu bien avant que tu rejoignes les Black Stones » Il prit une pause, comme essoufflé, hochant négativement de la tête en poursuivant. « Elle a remis en question toute notre relation, notre mariage…Je ne sais pas si elle pourra me…nous refaire confiance après ça ». Austin avait du mal à trouver les bons mots, cela lui arrive si rarement et ça prouve à quel point la situation lui échappe déjà.

Gabriel avait tant de choses à dire, mais il gardait silence. Il se contentait de toiser Austin du regard, à la recherche d’un indicateur pour éclairer ses soupçons. Et Austin commençait à aligner les mots. Sous le regard toujours aussi constant de Gabriel. Son cœur était révulsé. Pas envers Austin, encore moins Nancy. Non, comment le pourrait-il ? Mais Gabriel était révulsé. Contre tout ceci, ce présent, ce passé, ces conséquences inévitables, cette menace planant sur lui. Envers tout ce qu’il aurait dû faire pour délier sa langue et dire certaines choses, tous ces enchainements qu’il pouvait imaginer. Le brun serra plus fort les poings posés sur ses genoux. Sa tête devint soudainement vide, réussissant à chasser ces pensées inutiles, se focalisant à nouveau sur Austin. Il voulut baisser les yeux, mais il n’y arriva pas. Son cœur lui, restait serré, arrêté. « Tôt ou tard, elle aurait fini par le savoir » Il y avait de l’émotion dans sa voix. Il ne pouvait ni la cacher, ni la dissimuler. Il n’avait nulle part où la stocker. Pas après l’avoir retenue aussi longtemps. Il fronça les sourcils, toujours avec cette absence indéterminée, inépuisable dans son regard. Pièce de théâtre qui se répétait. Dans un arrière-goût semblable, néanmoins, plus grave lui semblait-il. Ce qui se joue cette nuit est unique. Les conséquences le seront également. « Tu t’attendais à quoi ? On a toujours voulu la préserver en attendant le bon moment pour lui dire….mais il n y a jamais de bon moment pour dire ça » Croire qu’ils pourraient s’échapper sans rencontrer de quelconque déception de la part de la jeune femme était une utopie bien douce. Une illusion à laquelle il voulait croire pourtant, en mettant plus de distance entre lui et la jeune femme, à chaque pas. Seulement, rien ne se passe comme prévu, n’est-ce pas ?

La confiance, notion si indispensable à toute relation humaine. Comme Austin, ce n’était pas par manque de confiance qu’ils n’avaient pas vu l’utilité de ramener une histoire passée au présent. Et qui aurait imaginé que les choses prendraient cette tournure entre eux. Il saisissait que la douleur d’Austin était encore plus importante que la sienne, mais Gabriel cachait une autre qui le guettait depuis déjà quelques semaines. Cette suspicion installée depuis que lui et Austin s’étaient mis ensemble. L’attachement de ce dernier à son passé, son amour pour Nancy… Une vrille de douleur lui traversa le crâne. Une autre lui transperça le cœur. Il avait envie de pleurer, de crier. A la place, il se mordit l’intérieur de la joue, profitant de la claque que lui octroyait le froid pour reprendre ses esprits. « Dis-moi, Austin… » D’un coup, Gabriel se sentait seul…Si seul. Il se sentait également égoïste de penser telle chose à un moment pareil. Il avait la gorge nouée, trop d’émotion dans la voix. Trop de noirceur dans son regard. « L’aimes-tu toujours ? » Car il lui semblait, qu’il fallait commencer par-là, que la réponse à cette question était la solution pour tout le reste. Que dans sa logique légendaire, Austin a peut-être omis de ré-évaluer cette base…Après tout, il avait le droit de tout remettre en question, maintenant. Oui, Gabriel voulait faire taire ses soupçons, cette insécurité si vivace en lui. Il voulait en avoir le cœur net, il voulait également connaitre son rôle auprès du jeune homme désormais. Était-il peut-être seulement l’âme présente pour guérir les blessures encore étalées d’Austin. « Es-tu toujours amoureux de Nancy ? » Il en rajoute, pour apaiser la confusion de son petit-ami. Ses yeux se plantèrent dans ceux du jeune homme, face-à-face, alors qu’ils sont supposés être cote à cote pour discuter et aller dans un même sens. Des mots jetés, des questions désirants une réponse, ne risquaient pas d'aggraver la situation plus qu'elle ne l'était déjà ?

Austin observait Gabriel, depuis qu’il était entré, depuis qu’il avait décidé de s’assoir à distance comme s’il refusait de s’approcher un peu trop ou comme si, il se sentait déjà éloigné de lui…Austin avait un tas de marrée de pensées qui lui heurtait la tête sans interruption, au point ou il avait du mal à déchiffrer le regard de Gabriel et tout ce qui s’y passer. Pourtant, le jeune homme pensait avoir fini par cerner les expressions et les différentes lueurs et émotions que ce regard bleu pouvait portait en lui. Il est encore plus déstabilisé de réaliser que ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui. C’est difficile de faire usage des bons mots dans ce genre de situation, Austin voulait être à la fois honnête mais délicat. Un jeu d’équilibriste semblant simple pour un homme d’affaires comme lui, néanmoins, lorsqu’il est question d’affaires personnelles…l’exercice était bien plus difficile. En effet, cette histoire allait finir par se savoir un jour ou l’autre, tôt ou tard comme le disait si bien Gabriel. Sauf que, dans tous les scénarios que le jeune homme s’était imaginé, il n’aurait jamais pensé que Nancy interprèterait cela comme un manque de confiance, remettant en cause tout ce qu’ils avaient vécu ensemble. Il laisse son visage s’enfouir un moment entre ses mains, avant de ne brusquement relever la tête et adresser un regard confus, voire choqué par la question, ou plutôt les deux questions que venaient de lui poser son petit-ami.

Austin se sentait épuisé face à ces questions. Pourtant, lutter, c’était quelque chose qui lui était familier, comme inscrit dans sa chair. Survivre aussi. Mais c’était l’absence de mains amies, d’étreintes rassurantes, de regards complices et compréhensifs, qui rendait la tâche si ardue, si compliquée, à l’apparence irréalisable sur le moment. Parce que c’était la guerre en son for intérieur. Et que dans celle qu’il livrait, il n’y avait plus ce soutien indéfectible sur lequel il pourrait s’appuyer, cette épaule qu’il pourrait agripper s’il venait à trébucher. Plus de mains secourables s’il venait à se tromper, à flancher, à faiblir, à ployer. Était-ce ce qu’il avait désespérément espéré trouver en Gabriel ? Peut-être en partie. C’était ça, et bien plus à la fois. Bien trop. Beaucoup trop. Austin pouvait admettre que la présence de Gabriel à la suite de son divorce avait été celle d’une épaule amicale, d’un complice qui ne l’interrompait jamais, d’un ange gardien qui s’assurait toujours qu’il ne ferait aucune connerie. Et puis c’était devenu autre chose, quelque chose de plus fort que lui, de plus fort que tout, c’était devenu de l’amour…quelque chose qu’il n’avait pas calculé ni même désiré. Il ne pouvait juste pas contenir la vague d’émotions qui le submergea, et c’était exactement ce qu’il lui fallait pour avoir le courage de mettre fin à ce doute qui planait et d’affronter le vrai sujet.

« J’ai connu Nancy alors qu’elle avait seize ans et moi vingt et un ans…Je l’ai aimé depuis ce jour-là, jusqu’à nos retrouvailles deux ans plus tard à Londres. Tu connais la suite, on s’est mis ensemble, on s’est marié, on s’est aimé… » Un souffle. Une inspiration et il reprenait en posant le regard sur Gabriel. « Pendant des années, Nancy a été l’amour de ma vie. J’ai voulu tout faire auprès d’elle, passer ma vie avec elle, mais rien de cela ne s’est fait…On a fini par ne plus voir dans la même direction » Il ne voulait pas resasser ses peines suite au divorce, ni reparler de la présence de Gabriel auprès de lui dans ces moments difficiles, car là n’était pas le sujet, ni la question. « Je ne cesserai jamais d’aimer cette femme, mais je ne suis plus amoureux d’elle. » Les mots lui échappèrent, contrôlés, mesurés. « C’est de toi dont je suis amoureux, c’est avec toi que je veux construire mon avenir…Enfin, Gabriel, pourquoi ce doute ? » Mais comment ignorer l’intensité silencieuse de ce qu’ils partageaient, la tension presque palpable qui régnait ? Impossible.