Il aurait voulu être une de ces personnes qui étaient capable de contrôler toutes leurs émotions sans aucun problème. Turgen, par exemple, semblait être clairement le genre de type qui avait une très bonne maîtrise de lui-même. Mais ce n’était pas le cas, pour lui. Tout bouillonait toujours trop vite, trop fort. Il ressentait les choses bien trop intensément que ça en débordait, et en plus de ça, il avait toujours eu de mal à les contrôler, quelque peu hypersensible. Qu’il soit heureux, triste ou en colère, le cacher était difficile. Toujours très expressif depuis sa plus tendre enfance, il pouvait parfois en faire trop, sembler too much - excessif quand il était en colère, heureux. Il avait appris au fil du temps à gérer ce qu’il ressentait un peu mieux, mais il suffisait de le connaître suffisamment pour n’avoir aucun problème à savoir s’il était mal ou bien luné.

C’était sa peine, ces temps-ci, qu’il cherchait à apprivoiser. Il n’avait pas menti à Elliott, il y avait quelques semaines cela. Il avait compris qu’il devait accepter la perte, accepter que cette douleur fasse partie de lui, et la transformer en énergie positive, combative. Mais il n’avait aucune idée comment! On ne lui avait pas donné le mode d’emploi, et il cherchait son chemin dans un labyrinthe qui semblait souvent bien trop complexe pour lui. Et il avait la sensation de faire des progrès. Cette peine, il avait l’impression de la contrôler un peu mieux alors qu’il cherchait à avancer sans la repousser catégoriquement. Seulement, cette peine, elle était maintenant plus insidieuse. Elle survenait sans crier gare, au moment où il s’y attendait le moins, et le laissait pantelant, avec l’envie de se siffler une bouteille de whisky pour s’assommer. C’était ce qu’il s’était passé, quelques minutes plus tôt. Il avait suffit de quelques mots, son esprit qui s’égarait deux secondes, et il avait perdu le fil, perdu le contrôle, et il se retrouvait là, comme un con, devant Turgen qui lui disait qu’il était désolé. Il avait haussé les épaules, pas trop en l’état de répondre quoique ce soit, et à quoi bon? Les mots qui avaient suivis, prononcés par son voisin, lui avait donné en premier lieu l’envie de hurler - et ça c’était peut être senti un instant d’ailleurs, il ne savait pas trop, alors qu’il cillait. C’était le genre de discours qu’il avait encore bien du mal à accepter, à écouter - mais, cette fois, venant de Turgen, ça n’avait pas le même impact. Il releva le regard vers lui, sans un mot, et toute trace d’irritation disparut de son visage. Clairement, son voisin avait connu quelque chose de similaire, et Manuel avait envie de le croire, lui. Il ne le connaissait pas, en plus - ils n’étaient pas proches, pour quelle raison lui mentirait-il? “Il paraît.” Il répondit lentement, avec un semblant de sourire se dessinant sur ses lèvres. Il savait, qu’au fond, il s’y raccrochait à cette idée - c’était sans doute pour ça qu’il avait tenu jusqu’ici et qu’il continuait à se battre. Ce qui le frustrait, sans doute, était la lenteur avec laquelle il semblait aller mieux, et cette sensation d’être sacrément faible; qu’importe ce qu’avait pu lui dire son meilleur ami.

Il s’était raclé la gorge, avait rangé le plus proprement possible sa tristesse dans son tiroir attitré dans le fond de son coeur, et avait redirigé la conversation sur le concert en lui-même. Mine de rien, il se sentait légèrement déçu de la réponse de Turgen. Il haussa les épaules. “Sure, comme tu veux, mais j’ai juste à balancer un texto à mon manager tu sais, c’est vraiment rien je fais ça tout le temps” Il admit avec un sourire - Noah d’ailleurs en avait parfois marre et avait tendance à lui expliquer de nouveau l’intérêt et le but d’une guest list… qui ne devait pas être extensible. “Mais pas de soucis, je te tiendrais au courant.” Il ajoute avec un signe de tête avant de terminer sa part de gâteau, se faisant la réflexion qu’il avait encore faim. Il jeta un coup d’oeil à Turgen qui testait le thé à la menthe, et eut un petit sourire. “Tu peux te lâcher sur le sucre, ça se boit bien sucré.” Il commenta lentement. “C’est pas un vrai thé à la menthe marocain mais il est pas mal, faut pas dire ça à mon père ceci dit sinon il risque de me renier.” Il plaisanta, cherchant à chasser son écart précédent. Il ne voulait pas que ça gâche leur conversation.

Il s’adossa un peu plus sur sa chaise à la question qui suivit, son regard se perdant de nouveau, mais cette fois alors qu’il réfléchissait à sa réponse, fredonnant un instant la chanson qui passait à la radio dans le café qu’ils pouvaient entendre un peu diffuse, avant de reporter son attention sur Turgen. “ça dépend combien de temps tu es prêt à voyager? Je te conseille la Cornouaille, c’est vraiment magnifique et à environ quatre heures de route, tu peux aussi aller au pays de Galles sur la côte du Pembrokeshire, beaucoup de falaises et la mer! Le Yorkshire aussi. Plus proche tu as les Cotswolds ou même Cambridge, j’y vais souvent avec Bee… - c’est mon chien! Plus loin…. bon et bien l’Ecosse indéniablement superbe, à visiter absolument mais faut avoir plusieurs jours devant soi”  

Communiquer, comment bien le faire avec chaque individu, selon chaque personnalité, chaque ressentie, chaque émotion éprouvée ? En voilà un exercice des plus difficiles pour n’importe quelle personne. Chacun d'entre nous avons des systèmes de valeur différents et avons vécu des expériences différentes… C'est pourquoi face à une même situation, nous n'avons pas les mêmes réactions. Sous un air sérieusement intrigué, il préfère pourtant se taire et ne porter aucune réaction face à ce qu’il venait d’observer. Bon silence vaut mieux que mauvaise dispute, pensait-il intérieurement.

Car oui, quelque chose venait de se produire. Une fureur, une colère, qui avait fait son passage dans le regard de son vis-à-vis. Un signe, qui l’avait mis dans un malaise assez important. Turgen se sentit brusquement, de « trop ». Il comprit facilement que sans le vouloir, il avait mis les pieds dans un terrain miné. Et une mine, aurait pu lui exploser au visage. A cause d’une phrase qu’il pensait profondément, car c’était son vécu à lui. Turgen avait saisi le message subtil, il n’était pas le bienvenu sur certains sujets. Et ce dernier semblait être lié à la musique, de prés ou de loin, bien qu'il avait senti qu'il s'agissait d'une perte bien plus précieuse. Il devrait oublier de parler de la moindre chose en rapport avec ce fait, dorénavant. Chacun fait avec sa peine comme il le peut, il en était conscient. Manuel semblait rejeter l’éventualité d’aller mieux, la possibilité de jours meilleurs. Une attitude trop obscure pour le chanteur. Il faut comprendre la philosophie de vie de Turgen. Beaucoup à sa place auraient arpenté un tout autre chemin pour s’en sortir. Ou, pour ne pas s’en sortir. Pour lui, la vie est juste, elle l’est. Il est seulement question de bon timing. Quand elle nous prend quelque chose, elle nous redonne une autre à un moment. Pour se faire une nouvelle peau. Sans oublier ce qu’on a perdu ou ceux qu’on a perdu, mais en faire une force, et vivre la vie qu’ils auraient mérité d’avoir vécu. Il se disait intérieurement que la sympathie avait des limites, et que ce qu’il avait pu voir auparavant, ne sont pas des choses auxquelles il fallait s’accrocher. Il ne connaissait rien de l’homme en face. Hormis quelques détails et une aura qui lui avait inspiré confiance. Et s’il avait eu tort ? Et si cette fois, son instinct venait de se tromper depuis le premier jour ? Et si l’aura de Manuel, n’avait rien qui vaille ?

Et c’est sur cette pensée que Turgen appris sa leçon, et continua sur un sujet qui avait l’air de ne pas avoir de sensibilité particulière. Son naturel venait de reprendre, tout comme celui de son vis-à-vis, il avait bien fait de poliment refuser sa proposition d’être dans une guest list, il n’y avait définitivement pas de place pour lui sur une telle liste. Il hocha simplement de la tête avec un mince sourire lorsque son voisin lui dit qu’il le tiendra au courant. Il préférait de loin y aller en « étranger », parce que c’est ce qu’il était ici. Qu’importe qu’il reste encore quatre mois aussi pour le besoin du spectacle, il n’était pas chez lui. Et il n’avait personne ici, il devait garder ce fait à l’esprit. Malgré ces impressions, il suivit le conseil de Manuel sans se poser de questions concernant le thé, et y versa la quantité qu’il lui semblait raisonnable dans son thé. Il sourit, songeant qu’il ne verra jamais ce père de toute façon. Il porta le verre à sa bouche, et le sucre avait donné un gout plus intéressant à la boisson. « J’aime bien » laissa-t-il filtrer d’entre ses lèvres. Le gout avait pour résultat de le détendre et de booster son attention afin de prendre note des endroits que lui conseillait Manuel. Il les nota tous, sans exceptions, sachant pertinemment qu’il avait fait des erreurs d’orthographe, mais le net l’aidera à trouver tout ça et à corriger ses erreurs. « Merci ! Je n’ai pas l’intention de m’absenter longtemps, deux jours ou trois au grand max’…J’étudierai les endroits les plus proches » Finit-il sa phrase avec son « hum » habituel, il le confia nettement plus à lui-même.

Ils continuèrent à échanger quelques banalités par la suite, avant que le téléphone de Turgen ne se mette à vibrer. Lorsqu’il découvrit d’où venait l’appel, et de la part de qui, il eut une crépitation au cœur, et son visage se crispa. C’est sa manager, qui l’appelait de Chine. Et cela ne voulait dire qu’une seule chose ! Son regard remonta pour rencontrer celui de Manuel un peu gêné, il déclara. « Duty call ! Je te remercie pour le café et le voyage au Maroc … » Lâchait-il en se relevant, laissant tomber un billet sur la table et enchaînant sans laisser le temps au jeune homme de lui répondre. « On se revoit bientôt, pour courir ? Tu me diras quels jours te conviennent, hum. » Il n’attendit pas de réponse, donna sa confirmation sous son tic de langage, et s’éloigna du café, de Manuel, et même de Londres. Il était désormais connecté à Pékin, et cela allait durer des heures, il le savait.

Topic Terminé
A suivre...