Il avait terminé les courses quelques heures plus tôt, afin d’avoir tout ce dont il avait besoin pour le dîner qu’il allait préparer à Turgen, mais aussi à ses parents. Il était en train de préparer à l’avance des pâtisseries marocaines, des ghriba aux amandes et des cornes de gazelle, pour aller avec le thé à la menthe qui serait sans aucun doute servi par son père un peu plus tard. Les cornes dans le four, il se penchait sur la préparation des ghriba avec concentration. De la musique classique, du chopin, rythmait son occupation. Il était un peu en retard dans ses plans, car il voulait commencer le plat principal assez vite, mais il imaginait que cela aurait le temps de finir de cuire avec leurs discussions. Il avait commencé un peu en retard, mais surtout il n’avait pas pensé qu’en reprenant ainsi la cuisine, il perdrait de sa rapidité et de ses réflexes. Il n’avait pas oublié, bien sûr, mais la chose ne lui était plus si naturelle. Il avait repris la cuisine, peu à peu, ces dernières semaines, mais il faut dire qu’il profitait davantage de la cuisine de Turgen plus que de cuisiner ses propres mets, pour être honnête. Mais aujourd’hui, cela changeait, et il prenait le temps de tout faire de A à Z. Il avait oublié à quel point c’était quelque chose qu’il appréciait. La rencontre de ses parents et Turgen était importante pour lui, même s’il ne se mettait pas vraiment la pression, il faut dire que pour lui c’était d’une évidence même, il ne voyait pas pourquoi attendre. Ses parents étaient importants pour lui, Turgen était important pour lui, il ne voyait pas pourquoi ils ne se rencontreraient pas. Cela tombait sous le sens. Non, il était peut-être un peu plus nerveux que Turgen le rejoigne bientôt, parce que c’était la première fois qu’il verrait sa maison - la vraie, pas l'appartement qu’il louait à côté du sien. Il ne savait pas trop pourquoi. Après tout, il était heureux aussi de la lui montrer - peut-être que cela venait du fait que c’était vraiment lui, ici. Cette maison, toutes ses pièces, tout ce qui s’y trouvait, tout ce qui avait eu lieu sous ce toit. La nervosité n’était pas vraiment rationnelle, puisque de toute façon il ne jouait pas non plus à être quelqu’un d’autre avec Turgen. Mais il voulait tant que tout se passe bien. Voilà un peu plus de deux mois qu’ils vivaient quelque chose de fort, d’authentique, aussi. et il voulait vraiment que cela dure. Turgen s’était imposé dans sa vie sans qu’il ne le voit arriver, et maintenant il ne pouvait pas imaginer sa vie sans lui. Ils se découvraient encore, les quelques côtés qu’il n’appréciait pas forcément chez l’autre (il avait appris que Turgen avait bien du mal avec son retard, surtout quand il s’agissait de rendez vous amoureux), et d’un autre côté, il avait parfois l’impression que Turgen le connaissait déjà par coeur, ce qui était un peu paradoxal. Enfin, il divaguait, et c’est en sortant la fournée de cornes de gazelle, perdu dans ses pensées qu’il fit que trop peu attention au torchon qu’il utilisait et à la plaque et qu’il se brûla un peu, grognant de douleur alors et sifflant entre ses dents relâchant la plaque sur la surface qui ne craignait rien, avant de passer sa main sous l’eau froide en soupirant. Il fallait vraiment qu’il arrête de penser à autre chose quand il cuisinait. Il stoppa l’eau quelques instants plus tard, ignorant alors la douleur un peu lancinante - ça allait bien passer, pour enfourner les ghriba, cette fois, dans le four. C’est lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit et un sourire éclaira son visage - tournant un peu amusé alors qu’il jetait un coup d'œil à son téléphone. dix-huit heures tapantes, du Turgen tout craché. Sans se défaire du torchon sur son épaule, il alla ouvrir à l’homme qui attendait derrière la porte. “Hi.” Comme à chaque fois, il apprécie la douce chaleur qui l’envahit de le voir face à lui. “Perfectly on time as always I see” Il s’efface pour le laisser entrer. "Vas-y, entre. Tu as trouvé facilement du coup?” Il le laisse à peine répondre avant d’ajouter. “Have you seen my new shoes?” Il demande en haussant un sourcil, le regard espiègle. Les baskets, destinées à un public jeune et tendance il fallait l’avouer, le surélevaient de plusieurs centimètres; ce qui était l’exacte raison pour laquelle Manuel les avait achetées. ça, et elles étaient les seules qui ressemblaient à peu près à quelque chose qu’il avait trouvées. Dans le même temps, Bee se précipitait lui aussi pour dire bonjour à cet humain qu'il appréciait tout particulièrement.

Sailyn - Intrigue 3

Le temps. Le temps qui passe est une éternelle inconstance que l'Homme redoute par-dessus tout. Le temps est quelque chose d'éphémère et d'immuable. Il est décisif et pourtant incertain. Il donne naissance, décore une vie et condamne à la fin. Il s'arrête tout en continuant, il prend une nouvelle existence sans jamais mourir, ni disparaître. Le temps court, file, disparait sans qu'on puisse le rattraper, faisant naître dans l'esprit des plus rêveurs et des plus malheureux l'idée de l'immortalité pour s'assurer aura un délai intarissable permettant de gouter enfin au bonheur ou de pouvoir réaliser tout ce que notre esprit et notre volonté désirent tous deux. Le temps est quelque chose que l'on perd précieusement lorsque l'on s'arrête pour se demander ce que l'on fera de ce timing que représente notre existence. Le temps ne nous attend pas. Le temps continue sa route sans se soucier de que ne nous devenons ni des décisions que nous prenons. Il reste impartial et, à sa manière, impitoyable. Le temps a fait des ravages dans l’existence de Turgen. On peut dire qu’il est bien placé pour comprendre au mieux ce dernier, son impitoyabilité, le faut qu’il ne pardonne rien, ni personne. Perdre du temps, être en retard, et s’amuser à rallonger des choses qui ne méritent pas tout ce temps, ne font pas partie de sa philosophie de vie. Il était évident qu’il n’aurait jamais pu être en retard au diner auquel il avait été convié ce soir, alors même qu’il avait passé la journée à se demander comment allait-il s’en sortir ! Dans la culture asiatique, on ne présente jamais les parents sans avoir pris le temps, d’y réfléchir longuement. Et le temps dans ce cas de figure n’est pas du temp perdu, mais un temps nécessaire, un temps essentiel pour la prise de la bonne décision. Lorsque Manuel l’avait convié sans plus de protocole, sur un ton si léger, il avait eu du mal à y croire. Il pensait que c’était une blague. Vraiment, il l’avait pensé. Néanmoins, il avait bien rapidement fini par comprendre que son petit ami avait été bien séreux, et que le jour j avait fini par venir.

Tout ce qu’il avait pu faire durant sa journée pointait vers une anxiété accrue face à ce diner. Mille et une questions flottaient dans son esprit, et aucune ne semblait vouloir couler face aux réponses qu’il tentait d’accorder à ses pensées. Distrait lors de son entretien avec sa manager qui était pourtant de la plus grande importance. Peu studieux dans son plat cuisiné. Trop lent dans la prise de sa douche. Bref en méditation. Et un peu trop indécis sur la tenue qu’il allait porter. Il en voulait presque à Manuel, de l’avoir laissé avec si peu d’indices, si peu de conseils. Ou bien, n’était-ce pas assez sérieux, tout compte fait ? Avait-il fait cela parce qu’il a l’habitude de le faire avec toute personne qu’il avait pu fréquenter ? C’est avec l’esprit lourd et perdu que Turgen se dirigea jusqu’à la maison de Manuel. La longue inspiration qu’il prit avant de s’annoncer à la porte témoigne bien de son état ! Lorsque Manuel lui ouvrit, Turgen masquait sa nervosité par un sourire, consistant à serrer sa lèvre inférieure sur la supérieure, et dessiner un étirement progressif de part et d’autre de sa bouche. « I do have my reputation, you know » S’il avait pu, il serait arrivé en avance, histoire de s’imprégner des lieux, de ressentir leur énergie afin de s’y adapter au mieux. « J’ai un peu triché avec le téléphone... » Dit-il, tout en retirant son manteau, un simple tour d’horizon lui permis de trouver le porte manteau à sa droite. Puis laissa le bag qu'il avait ramené, par-terre pour l'instant. Débarrassé de ces derniers, il porta le regard sur Manuel, ayant remarqué le torchon sur son épaule. Mais ce sont les chaussures de ce denier qui avaient toute son attention, un grand sourire s’afficha sur ses lèvres, le laissant oublier le temps de quelques secondes, toutes son anxiété. « Hey, you look taller ! » Dit-il en se rapprochant de lui, passant son bras sur la taille du musicien, souriant toujours, le regard espiègle, il murmura doucement, aux bords de ses lèvres. « However, I still can carry you in my pocket ! » L’obsession de l’imagination de Turgen, celle de pouvoir glisser Manuel dans l’une de ses poches, pour ainsi pouvoir l’emporter partout avec lui. « Thank you » Il appréciait l’effort, même s’il n’avait aucun problème avec le fait que Manuel soit plus petit que lui. Seulement, que ce dernier ait fait l’effort d’acheter des baskets compensées le touchait en cet instant. Il ne lui accorda pas le luxe d’un baiser, il l’a laissé un peu trop dans le flou pour ce diner. A la place, il s’accroupit pour se mettre à la hauteur de Bee et caresser ce dernier. « Hey you ! Happy to see me ? » Il accorda quelques seconds auprès du chien, avant de ne se relever et de réaliser sa tenue…Turgen portait un costume bleu nuit, dernier vestige de son contrat rompu cette année avec YSL. Avec sa chemise noire en soie, dont le col s'allongeait afin de croiser les extrémités en nœud …N’avait il pas commis de faux pas en ce choix ? « You think it’s too much, dont you ? » Il soupira, toute la nervosité, l’anxiété, le stress, reviennent à lui à ce moment. Les battements de son cœur sont lourds, et cette impression étrange de ne plus pouvoir respirer. « I can go back and change…I still have time!” Passant sa main dans ses beaux cheveux couleur ébène, il soupira à nouveau, laissant sa main tomber jusqu’à sa nuque. « I dont know how to behave, how to talk, how…to be around your parents! I don’t even know if it’s a big deal for you, because for me…It is!” Il est si rare de voir Turgen dans un tel état, lui qui donnait toujours, tout le temps, ce sentiment de contrôle, de perfection presque. Là, il était vulnérable. « I’m lost, and confused…I dont know what to do” Il secoua la tête, réalisant que cela ne lui ressemblait pas. Mais Manuel lui a laissé si peu pour se débrouiller ce soir. Oh, il avait bien enregistré que les Said étaient gentils et ouverts, mais…cela ne l’empêchait pas de se sentir aussi inquiet. Son regard retomba sur Bee, qui semblait compatir avec ses yeux. « Wanna help me, buddy ? » Lui dit-il, à basse voix.

Tenue de Tutu:

Il n’a pas honte de sa taille, loin de là. Après tout il serait un peu stupide que ce soit le cas, à son âge, il a l’habitude d’être plus petit que les trois quarts des hommes qu’il fréquente; et de nombreuses femmes d’ailleurs. Il n’y voit là aucun problème, ce n’est qu’une taille, cela n’a aucune importance. Cela ne le dérange pas d’être plus petit que Turgen. Il apprécie d’ailleurs sa hauteur, il apprécie aussi pouvoir se lover facilement dans ses bras quand il le souhaite. Des bras dans lesquels il se sent bien, en sécurité, des bras qui rassurent et qui n’ont de cesse de le combler. Il n’a aucun problème avec ce fait imposé par la nature. Non, l’achat est purement pratique - il devient parfois un peu fatiguant de devoir se hisser sur la pointe des pieds pour l’embrasser, surtout pour l’embrasser longtemps, et Dieu sait qu’il en a envie souvent, Turgen ne lui rend pas la tâche facile. Les baskets lui permettront d’éviter le désagrément de devoir s’arrêter de l’embrasser, ou de devoir l’entraîner dans un endroit où il est plus simple de s’embrasser sans problème. Et il est ravi de voir que cela semble plaire à Turgen dont le sourire lui réchauffe le cœur - il a un sourire amusé à son commentaire. Il y a quelque chose d’intéressant dans l’idée, de pouvoir le suivre n’importe où, le voir travailler et pouvoir l’observer sans se faire voir. Il relève la tête pour recevoir un baiser de bonjour, qu’il ne reçoit pas et qu’il le fait faire la moue, pour un peu, il en grognerait presque! Il l’observe s’accroupir pour saluer Bee, qui est bien content de le voir. Le chien a adopté Turgen si vite, presque aussitôt après l’avoir rencontré, il y avait quelques semaines de cela. Peut-être était-ce idiot, mais le moment avait été important pour Manuel, appréciant voir l’homme si naturel avec les animaux, en l’occurence, avec son chien. Il aurait été difficile pour lui si cela n’avait pas été le cas.

Et puis, soudain, Manuel réalise l’état d’anxiété avancé dans lequel se trouve l’homme qui fait battre son cœur. La nervosité qui transpire de chacune de ses pores, Turgen qui exprime tous ses doutes, qui se laisse emporter dans une vague d’angoisse à la perspective, le musicien l’a bien compris, de rencontrer ses parents. Il sent son cœur se serrer légèrement et s’en veut légèrement de peut-être n’avoir pas pris le temps suffisant pour apaiser ses craintes. Il se doute que Turgen a dû retourner cela dans son esprit pendant des heures. Il prend doucement ses mains dans les siennes. “hey, hey, Turgen…” il murmure doucement, caressant le dos de l’une de ses mains de son pouce. “My parents will love you, alright? I’m sure of it. And it’s just dinner. and they’re really easy to talk to I promise.” Il espère trouver les mots pour le calmer, sans trop savoir s’il parviendra vu l’inquiétude qui danse dans les pupilles de l’autre homme. “It matters to me. Really. I don’t see that as a “big deal” though I mean, in a way that I should be stressed out about it because this is not the case - I just… you’re so important to me, and they’re so important to me so… it’s obvious to me that you should meet then.” Il l’observe un peu plus. “And there’s nothing wrong about this outfit. The only thing wrong about it is that I won’t be able to take my eyes off of you the whole night and it’s unfair” Il décoche un petit sourire amusé, tâchant de relaxer l’autre homme, un peu au moins. Tout en étant parfaitement honnête: il a le cœur battant, car Turgen est si terriblement séduisant, ce soir. Et ses yeux brillent de l'intensité de l'attraction qu'il ressent pour lui. “I was thinking of changing into something a little better anyway” Il marque une pause avant d’exercer une pression sur ses mains. “They won’t be here before a while anyway, probably about one hour or two. I wanted to have you all by myself before. To show you the house, you know... “ Il murmure lentement. “And I also have to finish cooking”

Turgen n’a jamais eu l’opportunité de présenter qui que ce soit, à ses parents. Il n’a jamais connu cela, et il n’aura jamais cette chance. Si cette expérience est absente de son existence, il demeure toutefois anxieux face à ce que Manuel désirait faire ce soir. Car il sait à quel point cela est une étape importante, du moins, c’est ce qu’il a compris de son entourage, de ses expériences amoureuses. Il se doutait que ce soit uniquement culturel. Certes, c’est peut-être un petit peu plus sérieux dans les cultures asiatiques, lorsque ce ne sont pas simplement les parents qui proposent des « candidats » à leurs progénitures. Cette pression anti-célibat qui avait changé avec le temps, mais qui demeurait toujours présente en certains milieux. It is a big deal ! Probablement que la légèreté avec laquelle Manuel gérait tout cela lui était quelque peu déroutante. Ça le surprenait, grandement, ça lui faisait peur aussi, car son esprit ne pouvait résister à naviguer dans des scénarios peu réjouissants. En se disant qu’il n’était qu’un individu de plus, et qu’il ne devait pas « lire » davantage là-dedans. Et voilà que le musicien lui prenait les mains et le rassurait, en lui expliquant avec des paroles propres à lui, pourquoi il ne devait pas « craindre », cette soirée, et se détendre.

S’il inclinait son regard presque timidement vers le sol, face à la touche à la fois humoristique et aguicheuse quant à sa tenue, il sentait les battements de son cœur se calmer progressivement. Certaines paroles résonnèrent tendrement en lui, il était important pour Manuel. Il n’était pas qu’un autre de passage. Même si…leur situation n’était pas des plus rassurantes à chaque fois qu’il osait se projeter dans l’avenir. Dans le présent cependant, il était important pour lui. N’ayant pas dit un mot en retour, il se contenta de faire apparaitre une main sur la joue de Manuel. Surgissant comme de nulle part, Turgen vint accueillir l’homme d'un baiser aussi tendre que langoureux. Le baiser... Celui qui se veut aussi volage que profond. Ce genre de baiser qui, quel qu’en soit sa durée, semble s'évanouir en une seule seconde alors que, paradoxalement, on s’y sent plongé durant toute une éternité. Ce baiser, si innocent et inspirant pourtant tellement d'actions plus intimes et coupables. Ce baiser, celui que l’on a toujours rêvé mais aussi toujours connu. Ce simple baiser langoureux par lequel on a le sentiment de revivre notre premier flirt mais aussi d'être auprès de la seule et unique personne véritablement faite pour nous. Un baiser d'accueil, un baiser de retrouvailles, un baiser d'amour, un baiser brulant de passion... Tel était ce baiser qu'offrit Turgen à Manuel et telles étaient toutes ces délicates et troublantes intensions qu'il laissa véhiculer en cet instant. Un « Got it » se manifeste sur les bouts de ses lèvres alors qu’il rompit le baiser, ouvrant ses yeux sur les siens, étirés par un doux sourire. Il sentait bien la différence au niveau de la taille, il aimait ça.

« Yeah, cooking ! » Un léger rire se manifesta. Non, il ne se moquait pas. Mais, il avait cette impression de plonger dans une nouvelle dimension, celle dans laquelle Manuel cuisinait. « I see that you are well equipped for it … » ajoutait-il en pointant le torchon qu’il avait à son épaule. Et puis, mine de rien, ça sentait bon par ici. Sans doute des gâteaux, ce qui lui faisait rappeler le paquet qu’il avait ramené. Il quitta Manuel pour récupérer le bag qu’il avait déposé et le donner à son hôte. « I’ve made some mooncakes » Dit-il, il avait fait mieux que ça dans le passé, mais le stress ne lui a pas facilité les choses aujourd’hui dans la préparation de cette pâtisserie. Les mooncakes étaient un dessert de tradition chinoise, des petits biscuits fourrés aux amendes, mais aussi au chocolat, aux dattes, et à toutes sortes d’autres choses appétissantes. « But since it smells so good in here, why don’t you show me around, and then let me taste what you’ve been preparing” Son sourire espiègle, signifiait qu’il s’attendait à tout. Il n’a jamais encore gouter à la cuisine de Manuel. Il a surtout vu une facette bien peu glorieuse de la part du jeune homme, sur ce côté-là. Il était curieux, mais tout en réserve.

Il était important pour Manuel que cette soirée se déroule pour le mieux. Ainsi, peut être avait-il une certaine appréhension, bien qu’elle fût controlée. Il ne craignait pas la réaction ou le comportement de ses parents, à son âge, il n’avait plus besoin de leur accord. Mais en voyant l’angoisse de Turgen, il craignait un peu que la soirée ne soit pas aussi agréable qu’il l’avait prévu pour l’homme qu’il avait choisi pour partager un bout de sa vie, désormais. Et c’était vraiment tout ce qu’il souhaitait, passer un moment agréable avec ses parents, et avec Turgen, qu’ils apprennent à se connaître. Après tout, il espérait également qu’ils s’apprécient les uns les autres. C’était primordial, pour lui. Et il espérait que Turgen soit assez détendu pour profiter de la soirée, surtout. C’est pour cette raison qu’il prit le temps de lui expliquer un peu ce qu’il avait en tête et ce à quoi il devait s’attendre dans un effort de calmer son anxiété évidente.

Il ne s’attendait pas à un tel baiser, un baiser qui le prit par surprise mais qui le bouleversa, qui le rendit idiot, un instant, incapable de formuler une seule pensée cohérente alors qu’il n’y avait que Turgen, tout autour de lui, Turgen qui l’embrassait avec toute l’intensité et la tendresse du monde à la fois; et qui était-il pour lui refuser quoique ce soit? Glissant ses mains sur sa nuque, puis un peu dans ses cheveux, il le pressait contre lui, approfondissant l’échange passionné autant que possible. Puis le baiser qui se rompt, et le souffle un peu court, les paupières qui se soulèvent, le sourire un peu secret, un peu troublé, aussi. « hey there » Manuel lança doucement, caressant lentement la nuque de l’homme de son pouce. « Good. » murmure-t-il, soulagé que Turgen semble avoir oublié au moins un peu de son stress.

Il sourit ensuite, amusé, à ses mots, et haussa les sourcils avec un regard un peu espiègle « Ha! See! » avant que la curiosité l’emporte devant le petit paquet que lui tendit Turgen, qu’il s’empressa d’ouvrir, un sourire éclairant son visage en découvrant les petites pâtisseries. « They look and they smell amazing, thank you! Tu n’avais pas besoin de ramener quoique ce soit, tu sais, mais je ne vais pas me plaindre » Il connaissait bien maintenant les talents de cuisinier de l’artiste. « Sure, wait » Il se déplaça de quelques mètres pour récupérer des chaussons. « ils devraient t’aller, je les ai trouvé dans mon placard il y a quelques jours » Il n’avait pas forcément l’habitude d’en porter, mais il connaissait l’habitude de Turgen à ce propos et souhaitait qu’il se sente bien.

Prenant sa main quelques instants plus tard, il l’entraîna dans la cuisine où il le lâcha pour déposer les mooncakes sur la table, et lui montrer ce qu’il était en train de préparer. « Voici les cornes de gazelle, tu peux en goûter une si tu veux mais attention ça doit être encore un peu chaud je viens juste de les sortir. Les ghriba sont en train de cuir » il lança rapidement un coup d’oeil à son portable. Ce n’était pas encore tout à fait bon. Encore quelques minutes. « Après ça, il va falloir que je commence la préparation pour la tajine, avec de l’agneau, je sais que t’aimes ça. Tu pourras m’aider si t’as envie! » Il ajoute avec un sourire. « Mais avant ça on a quelques minutes, I can show you around » Il ajouta avant d’entreprendre de lui faire visiter le rez-de-chaussée d’abord: la cuisine du coup, puis la salle à manger et le grand salon avec le piano trônant au milieu. « Tu pourras venir quand tu veux, pour en jouer. Et c’est tout benef pour moi, comme ça je peux t’écouter» Il savait maintenant à quel point l’instrument était important pour le jeune homme, et souhaitait lui donner cette possibilité également. Il avait pris soin de tout ranger, bien sûr, ne souhaitant pas qu’il y ait trop de désordre. Quelques affaires trainaient néanmoins ça et là, la guitare sur le canapé, et plusieurs livres sur la table basse, notamment un livre sur la Mongolie dont un marque page dépassait; qu’il avait acquis récemment afin d’en apprendre plus sur le pays reculé et bien inconnu du reste du monde. Manuel prenait cette relation très au sérieux, et ses actes le montraient peut être encore plus que ses mots, parfois.

Les petits gestes comptent toujours, ils comptent même parfois bien plus que les grandes déclarations. Car ils visent des petites intentions, des petits détails que la majorité des ne prendraient même pas en considération. Le sourire de Turgen fut touché, lorsque Manuel lui offrit des chaussons à porter. Tradition de tout asiatique, on laisse les chaussures devant la porte, toujours. « Merci » Avec un regard tendre, reconnaissant qu’il y ait pensé. Il abandonna ainsi ses chaussures imposantes et enfila les chaussons, petits, mais ça ne le dérangeait pas plus que ça. Il le suivit jusqu’à la cuisine, ou d’agréables odeurs lui gratouillaient son odorat qui se mis en ébullitions. Son regard observa les petites cornes de gazelle, un sourire s’agrippant au coin de ses lèvres. Les gâteaux ont toujours un gout supérieur lorsqu’ils sont chauds, il n’avait pas craint la chaleur de ces derniers, et s’empara d’une sans se faire prier. Il laissa la texture du gâteau habiter sa bouche, par un gout délicieux. Il sentit les amendes, la cannelle, l’eau de rose…et ça sentait si bon. « Oh, c’est délicieux ! » Il était impressionné, très impressionnée, et il ne le cachait pas, ni par son expression, ni par ses mots. « Je ne m’attendais pas à ça ! » Non, il s’attendait davantage à une catastrophe. Pas qu’il soit de mauvaise foi. C’est qu’il n’a jamais connu Manuel en cuisine, il l’a plutôt vu ses prouesses pour la restauration rapide. « Ghriba » Répétait-il, réalisant que le mot n’était pas si dur à prononcer. Il s’imaginait que sa langue natale et l’arabe devaient avoir quelques sons en commun. « Oui, j’aimerais beaucoup ! » Il était bien curieux de découvrir ce plat et sa confection. Et il serait heureux d’aider Manuel, tout en ayant l’occasion d’explorer cette cuisine de près.

Il suivit Manuel, laissant son regard se perdre ici et là alors qu’il lui faisait visiter le rez-de-chaussée. Il sentit une excitation toute particulière en découvrant ce piano au centre du salon, celle-ci était teintée d’un étonnement, tout aussi singulier. « Tu ne m’as jamais dit que tu en possédais un ! » Alors même que Turgen avait demandé si le studio prêté le temps de quelques jours, avait un piano. Manuel, connaissant l’attachement de Turgen à cet instrument et le fait qu’il allait dans une gare londonienne pour pouvoir en jouer, n’avait encore jamais révélé la présence de cet instrument, chez lui. Pendant quelques secondes, il n’avait trop su comment devrait-il interprété ce fait. Ses doigts restèrent en suspend au-dessus des touches du piano, interdit, incertain, encore un peu pris par ce sentiment d’entre deux. Partagé entre l’excitation, le contentement de savoir que cela ne dérangeait pas Manuel s’il venait en jouer. Et l’opposé, ce choc d’apprendre qu’il avait toujours existé mais qu’il n’en prenait connaissance qu’aujourd’hui. Ses doigts se fermèrent en poing, serré, puis se relâchèrent lorsqu’il se tourna vers son hôte, un sourire divisé sur les lèvres. « J’en prends note » Son regard balaya le reste de la pièce, pas étonné cette fois de constater le petit désordre régnant sur la table, un bon désordre fait de livres. L’un deux portaient le nom de son pays natal, la couverture reprenant des paysages si chers à son cœur. Ceci eut pour effet d’adoucir son sentiment passé. Néanmoins, il restait quelque peu perturbé. Il saisit le livre, feuilletant ce dernier « Tu prévois de voyager ? » Bien entendu, les petits gestes ont une grande importance pour Turgen, ceci n’a pas changé. Que Manuel s’intéresse à son pays. Une preuve d’affection ? Il le saura bien assez tôt.

Les minutes qui suivirent furent occupés par la suite de la visite, et enfin, le retour à la cuisine pour finir les préparations avant l’arrivée des parents de Manuel. Et c’est alors qu’il finissait de dresser la table selon les consignes de Manuel, qu’il entendit la sonnette de la porte. Son corps se tendit, comprenant rapidement que c’était les Said qui venait d’arriver. Pas de panique en ses membres, mais son expression n’était pas du tout sereine.

Il y avait un air un peu fier, à ce qu’il voyait dans les prunelles de Turgen. Il était évident qu’il était impressionné au vu de ce qu’il avait pu constater auparavant. Manuel avait bien conscience que ces derniers temps, ses habitudes alimentaires laissaient fortement à désirer. Il y avait quelque chose de chaleureux, dans la poitrine, de voir la surprise, la bonne, dans le regard du jeune artiste. C’est ce que Manuel tâchait de faire, de continuer à faire, le mieux possible, avec Turgen. Continuer de l’impressionner, de le surprendre, dans le bon sens. Il voulait faire des efforts, encore plus qu’il n’en faisait déjà. Il savait que les choses n’étaient pas encore parfaites, qu’il pouvait se renfermer parfois; mais il savait où il voulait aller. Il espérait que cela suffise. Il espérait être assez fort, assez brave. Pourtant, Manuel ne pensait pas - ou ne voulais pas encore penser - à l’inévitable. Que dans quelques mois, le visa de Turgen finirait par expirer. Que la vie de Turgen était ailleurs. Il n’y pensait pas car ce n’était pas encore quelque chose qu’il saurait gérer. Il y eut un petit coup au coeur, soudain. Devant lui, il sentit la tension habiter les muscles de l’autre homme, pendant quelques instants. Une vague d’inconfort, un peu de culpabilité. Manuel se sentit un peu idiot, tout à coup. Et ce sourire, sur ces lèvres, il n’était pas vraiment sincère - enfin, pas complètement. Le ventre se retourna un peu. Il s’approcha doucement et leva son regard sur lui, un regard avec lequel il ne se permettait pas de tricher. « I’m sorry Turgen. I know how the piano is important to you. » Il poussa un soupire, chercha ses mots. « Cette maison a connu mes pires moments, elle m’a connu quand j’étais au plus bas. » Il espère, aussi, qu’il n’en connaitra plus, du moins pas aussi graves. Il laissa un léger silence s’installer avant de reprendre. « I wasn’t ready to come back. … de me confronter à tout cela. Et cela n’aurait pas été correct, de t’imposer ça » Il ne sait pas si ses mots font sens. Dans sa tête, cela en a. « I just started to come back recently, and I thought today would be the occasion to show you this. » Il retient un peu son souffle. Il espère, un peu au moins, apaiser la déception de l’homme à ses côtés. Le moment ne dura pas, et la conversation se tourna sur le livre sur la Mongolie qu’avait aperçu Turgen, et Manuel eut un simple sourire doux. « Why not? » Il y a une petite pause, avant qu’il hausse simplement les épaules. « I wanted to know more about where you’re coming from. » Il avoue simplement. C’était important, pour lui. « Mes connaissances sur le sujet étaient lamentables, je m’instruis » Il ajoute avec un sourire.

Les instants qui suivirent furent rapides, alors que Manuel terminait la visite et qu’ils s’affairaient pour préparer la tajine d’agneau, Turgen sous les directives précises de Manuel. Le plat mijotait encore, pour quelques minutes, alors que la sonnette de la porte d’entrée résonna dans la maison. Manuel avait juste eu le temps de se changer rapidement, et dévala les escaliers, la chemise à peine terminée d’être bien placée partout dans son pantalon. « Je suis là » il annonça, un peu fort pour que Turgen l’entendre avant d’ouvrir à ses parents dans un gros sourire. « mijo » Rosa le prend dans ses bras et le serre avec toute sa force maternelle, et Manuel a un sourire, resserre l’étreinte « holà mama qué onda? » L’espagnol ressort rapidement, tout comme l’arabe alors qu’il salue son père Ibrahim dans une même embrassade, récupérant leurs affaires pour les placer sur le meuble de l’entrée - il s’apprête à présenter Turgen mais sa mère le devance avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoique ce soit. « and you must be Turgen!! My boy » l’anglais est marqué par le fort accent, alors qu’elle attire Turgen dans une étreinte forte et chaleureuse, comme si c’était son propre fils et qu’elle le connaissait depuis des années. « I’m so happy to meet you, Manuel told us so much about you » Ibrahim a un sourire « Rosa dear, let him breathe will you? » La poigne est chaleureuse, et une brève étreinte, également, est partagée avec le patriarche « it is very good to meet you » le père confirme. 

Turgen n’avait ajouté aucun mot, il avait seulement esquissé de la tête en signe de compréhension. Il ne jugeait pas nécessaire d’y ajouter la moindre parole. Manuel avait ses raisons de lui avoir caché la présence de ce magnifique instrument chez lui, il respectait cela. De plus, ce n’était pas le moment de discuter davantage de ces points, et encore moins de la perspective d’un voyage. Cela le renvoya face à la vérité amère et déjà si douloureuse, celle de son départ dans quelques mois seulement. Il se demandait parfois si vivre le présent était la meilleure chose à faire, lorsqu’une projection simple dans un avenir proche, ne pouvait que signer la fin de ce qu’ils vivaient à deux. L’humeur du jeune homme venait de descendre en flèche. Mais en bon comédien, il se garda de laisser filtrer cela, et suivit Manuel pour le reste de la visite, avant de ne rejoindre la cuisine. Les choses s’étaient rapidement enchainées, jusqu’à l’arrivée des parents de Manuel.

De toute évidence, c'est plus qu'une simple rencontre. Turgen se mettait une pression énorme pour plaire aux Said, pour arriver à les convaincre qu’il était the right one0 Néanmoins, est-ce que le bon devrait avoir une place dans les paramètres particuliers de sa relation avec Manuel ? Avait-il vraiment cette importance, lorsque l’on sait qu’une date particulière risque de mener vers la fin précipitée de cette histoire. Et si Turgen était en train de stresser pour la mauvaise raison ? Il vit Manuel descendre et se diriger vers la porte, tandis que lui, restait planté au milieu du salon, le souffle court et le cœur battant à tout rompre. Jamais Turgen n’avait été la personne à avoir le trac, il était si à l’aise en public, si confiant, si certain de ses aptitudes et de son aura. Aujourd’hui, il n’est plus le même, il étoufferait presque, et cela se voyait aux petits pas hésitants qu’il faisait en quittant le salon. Les Said lui firent instantanément face. Rosa, la mère de Manuel se précipita vers lui en le serrant si fort, qu’il ne savait s’il devait interpréter cela comme une joie soudaine ou comme une tentative non dissimulée d’étouffement. Surpris par tant d’ardeurs, n’étant pas habitué à pareil salutation, il n’arriva pas à trouver la parole, se contentant de sourire bêtement, timidement. Se questionnant sur ce qu'a bien pu raconter Manuel. Son attention se tourna vers le papa, avec lequel il échangea une poignée de main chaleureuse, inclinant la tête envers les deux parents, salutation traditionnelle, il prit enfin la parole. « It’s a pleasure to meet you ! » Dit-il, enchaînant rapidement en inclinant de nouveau la tête envers les Said. « Both of you ! » Son regard chercha celui de Manuel, comme s’il appelait à l’aider, comme s’il attendait que son petit ami lui indique l’étape suivante. Pendant un instant, Turgen regrette que ses cadeaux n’aient pas pu arriver à temps. Forcément, il avait fait la commande d’habilles traditionnels, du sur mesure. La couture plus l’expédition prenait du temps. Il se sentit encore plus mal à l’aise face à cette constations.

Se frottant la nuque, nerveux, il laissa volontiers Manuel prendre le relais, se contentant de suivre ce dernier et les Said également. Il fallait absolument qu’il dise quelque chose, n’importe quoi ! « It’s the first time that I’m visiting Manu’s House, it’s a beautiful one…You must be proud of him ” Il aurait sans doute mieux fait de se taire, au lieu de raconter de telles conneries. Il parait que lorsque l’on rencontre les parents de son bien-aimé, il était de coutume de gratifier ce dernier de quelques compliments, mais il n’était pas certain que cela soit la bonne attitude à avoir. C’est le problème, il ignorait comment se comporter. Il baissait le regard vers sa tenue, se demandant s’il n’était pas un peu trop habillé. Il souffla, cherchant à dénouer une cravate inexistante. Sans doute, fallait-il laissé les aïeux engager la conversation sur le thème qui leur convenait le mieux. Sa tradition, le voulait, l’exigeait même. Il lui sera ainsi plus simple de s'adapter à la situation...

Manuel n’avait souvent pas la distance nécessaire pour réaliser que sa situation familiale était singulière. Sa relation avec sa mère, son père, tout comme sa soeur Jameela, et dans une mesure un peu moindre ses cousins, ses oncles et ses tantes et ses petits neveux et nièces; avait toujours été fusionnelle et très complice. Les problèmes de famille il ne connaissait pas vraiment. Il avait une grande famille, haute en couleurs, et si bien sûr ils pouvaient avoir des coups de sang, il n’y avait jusqu’ici rien qui n’avait brisé les liens familiaux. Il avait pourtant de nombreux amis avec des relations familiales bien différentes, ou inexistantes. Mais plus qu’une famille aimante, ce qui impressionnait souvent ses amis et bonnes connaissances était la facilité déconcertante avec laquelle les Said se comportait avec eux; comme s’ils les connaissaient depuis toujours. C’est de la même façon que Manuel avait été éduqué, et si ce côté chaleureux avec son prochain était peut être d’une moindre mesure comparé à celle de ses parents; il avait toujours été proéminent dans sa façon de parler avec les gens. Quoiqu’il en soit, il n’était pas étonné que Rosa et Ibrahim saluent Turgen de cette façon, sans se poser de question. Il l’était, néanmoins, de la manière dont Turgen réagissait: tout en profonde politesse et respect (ça, ça ne l’étonnait pas) et surtout avec une anxiété qu’il pouvait ressentir de là où il se trouvait, un peu en retrait, alors qu’il observait ses premiers échanges avec une certaine tendresse chevillée au coeur. Pourtant, il sentit le stress de l’artiste transpirer de toutes ses pores et chercher son regard comme un appel à l’air; et Manuel fut incapable de le laisser dans cet état plus longtemps et repris contrôle du moment, entraînant ses parents un peu insistants et un Turgen un peu perdu vers le salon où attendait les quelques petits fours qu’il avait préparé pour commencer la soirée. Pas d’alcool ce soir là, néanmoins, son père ne buvait pas et si Manuel savait qu’il ne serait pas le moins du monde dérangé si lui ou Turgen buvait pendant le repas, il avait fait le choix, ce soir, de ne pas mettre de bouteille à table. Il sourit, un peu plus attendri au compliment un peu maladroit de l’amant, auquel Rosa, bien sûr, ne manqua pas de répondre en expliquant à quel point elle était fière de son fils. Si Manuel avait souvent eu de l’embarras devant le côté maman et papa poule que ses parents avaient avec lui avec les autres, avec les années il avait appris à ne plus trop y faire attention: il ne les changerait jamais, de toute façon.

Quelques heures, de longues conversations et un thé à la menthe dans les règles de l’art plus tard, les Said quittaient la demeure de leur fils, le laissant avec Turgen pour la fin de la soirée. Le musicien ne savait pas encore trop si la diner avait été un succès, ou s’il était plutôt en demi-teinte: du moins pour Turgen, car ses parents semblaient avoir été ravis. Les discussions avaient été vives, ils s’étaient beaucoup intéressés à Turgen et ce qu’il faisait, tout en évitant les questions familiales: sans entrer dans les détails pour respecter l’intimité de l’autre homme, Manuel leur avait demandé de s’abstenir. Il lui avait semblé que, sans être franchement relaxé, Turgen s’était peut être un peu apaisé au fil du dîner, mais il n’était pas certain que ce n’était pas juste qu’il avait mieux caché son anxiété. Il était certain, en tout cas, qu’il lui avait été plus facile de discuter quand la conversation était tournée davantage sur Manuel, ou ses parents, que sur lui-même.

Il referma la porte d’entrée après un dernier au-revoir à ses parents et les avoir raccompagné jusque dans la voiture, s’étirant alors un peu en étouffant un bâillement avant de faire volte face pour retrouver Turgen dans le salon, qui évidemment avait déjà commencé à débarrasser. « Hey » L’apostrophe est douce, alors qu’il se rapproche pour récupérer quelques verres vides. « Well… they love you! » Il annonce avec un sourire doux, lui aussi, en portant son attention sur lui pleinement. « I hope it wasn’t… too much for you? »

Ce soir, Turgen se retrouvait face à un dilemme redoutable. Redoutable, parce qu’il se sentait partagé entre deux sentiments bien distincts. Si le diner s’était bien déroulé, si faire connaissance avec les Said s’était s’évérer être une merveilleuse idée. Le sentiment d’avoir fait une erreur le tiraillait, pourtant. Une erreur, en passant une étape qui ne se présentait dans sa coutume que lorsque l’on est certain de la durabilité et de la teneur d’une relation. Dans son cas, dans leur cas avec Manuel, cette certitude n’existait pas. Car plus les semaines passaient, plus son départ se rapprochait. La culpabilité d’une séparation inévitable le bouffait chaque jour, à petit feu. Parce que connaitre les Said, lui avait ouvert les yeux sur le fait qu’il aimerait tant faire partie de cette « famille », pas directement, mais comme celui qui pourrait faire en sorte de rendre leur fils heureux. Cet homme sur lequel il n’y avait plus aucun doute à avoir ; Turgen aime Manuel. C’est de l’amour qu’il ressentait, et s’il avait frappé de façon forte et intense au départ, et bien cette même dose si addictive et certaine ne l’avait plus lâché depuis. Mais ce monde, ce pays, ce continent…n’était pas le sien. Et c’est en cela, qu’il avait mal ce soir.

Aux yeux de Turgen, l’amour était un rêve et un travail à la fois. C'était une vie qui devait se construire sur des bases solides avec des principes autant ancrées que partagées entre les deux personnes. Mais il fallait que ce soit également le plaisir de rêver en compagnie de son partenaire et de se laisser aller à différentes surprises, aussi saugrenues soient-elles. Synthétiquement, sa pensée se résumerait à ceci : Trop de romantisme tue l'amour. Mais trop de rationalisme anéantit sa beauté. Autrement dit, celui qui se voulait tellement rêveur ne se contenterait que de vivre d'air et d'eau fraîche dans la plus parfaite des insouciances et perdant à l'esprit cette réalité qu'il peut perdre cette personne tellement aimée. En l'absence de cette vérité, il se privait d'outils nécessaires à la construction de leur avenir, de leur futur, tel que l'implication, l'observation, l'avancement et la conscience même de toutes les contraintes présentes sur sa route. Contrairement à cela, celui qui ne voulait pas accorder de place à ce sentiment d'abandon, à cette sensation de voler et de rêver constamment, ne s'enfermerait que dans un dogme relationnel tout bonnement insoutenable et qui détruirait tant son couple que sa personnalité et celle de son ou sa conjointe. Trop de sérieux et de droiture ne permettait la passion ardemment recherchée ainsi que les petites erreurs nous permettant d'apprendre de l'autre et de transformer quelque peu le chemin emprunté à l'avenir pour qu'il n'en soit que plus radieux, plus merveilleux. L'amour ne devait pas être une contrainte... Cela ne devait pas être une chimère... Mais, dirons-nous, un travail rêvé et pleinement atteint pour les deux personnes finissant par se réunir. Cet équilibre-là, Turgen le voyait désormais comme fragile pour son couple avec Manuel. Et il ne savait pas, il n’osait pas demander ni aborder le sujet. Parfois, il se disait que la légèreté de Manu était un signe, cette relation n’avait peut-être pas autant d’impact sur lui. Et rencontrer ses parents n’était un big deal, comme il l’avait dit lui-même. C’est ainsi, tiraillé, qu’il avait dit au revoir aux Said, des parents que Manuel avait la chance d’avoir !

Pour calmer ses pensées, il commençait déjà à débarrasser la table, s’occupant ainsi pour ne rien laisser filtrer, ne rien laisser apparaitre. Manuel revint rapidement, et Turgen laissa un mince sourire se dessinait sur ses lèvres. « Love », un verbe si facile à employer dans la langue anglaise. Il savait déjà que dire « I love you », était chose plus commune en cette langue, comme si…le verbe perdait de sa valeur, et devenait un langage commun à tous, pour tout, et n’importe qui. « The feeling is mutual » Avait-il répondu, car il avait adoré les Said. « You’re lucky to have such great parents ! » Ce qui n’insinuait en rien que lui n’avait pas connu les siens, pas assez, vraiment pas assez. Il voulait juste dire, qu’il était parfois rare d’avoir d’aussi bons parents, qu’il était facile de s’attacher à eux, et de les aimer. La question suivant le laissa secouer de la tête, pour dire non, ça ne l’est pas. Pourtant, ça l’était un peu « too much », parce que l’avenir est incertain. Les mains chargées de plats, il se dirigea vers Manuel, attendant d’avoir son attention afin de lui voler un doux baiser, court, mais portant tant de significations. « wǒ ài nǐ » lui soufflait-il, aux bords des lèvres, les paupières encore closes. Le cœur haletant, cette déclaration suprême que Manuel ne comprendrait pas…et c’était peut-être mieux ainsi. Il y avait plus d’une façon de dire « je t’aime » en mandarin, mais wǒ ài nǐ est la déclaration ultime. C’était ce qu’il ressentait, c’était ce qu’il avait besoin d’exorciser. Sans un mot de plus, ni même de geste, il se dirigea vers la cuisine afin de décharger ses mains. Il ne pense pas rester passer la nuit, il avait besoin de remettre ses idées en place, et de trouver le juste milieu dans cette histoire…qui semblait vivre avec le spectre d’une deadline…