Je peux ressentir ce profond manque. Jeunesse en manque, jeunesse inassouvie. Je respire l'absence. Une irritation au plus profond du cœur, qui me dévore. Je sens la lente agonie, les vagues de souffrance qui, jusqu'à alors, s'étaient contentées de m'effleurer se soulevèrent en rugissant avant de s'abattre sur moi et de m'engloutir. je sombrai.. L'ignorance, le mal de tous les savants. Le mutisme, le mal de toute personne prolixe. Au pays des sans-cœurs, le malheureux est le roi. Des milliers de mots n'y feront rien, des milliers de bons sentiments n'y feront rien. Le bonheur n'est pas pour tous, il n'est que pour ceux qui ne le voient pas. J'en reviens à ce principe : « L'ignorance est une bénédiction, mais pour que la bénédiction soit complète l'ignorance doit être si profonde, qu'elle ne se soupçonne pas soi-même » disait Edgar Allan Poe. Tout homme est ignorant, mais la conscience de son ignorance en fait un être à jamais incomplet; force est de constater que l'homme possède le désir de savoir tout en sachant parfaitement qu'il ne l'assouvira jamais. L'ignorant, lui, ignore qu'un désir n'est pas accessible; quelque objet qu'il désire, il le poursuivra; ainsi, l'ignorant n'aboutira jamais à une complète réalisation de lui-même, mais l'ignorera. A l'instar d'un enfant, l'ignorant ne connaît pas de limites au désir et à sa réalisation. Et j'étais l'ignorante. Je poursuivais quelque chose qui pourrait s'avérer impossible. Je demeurais ignorante, je refusais de croire au mot « impossible ». Impossible n'était qu'une excuse fondamentale, que chacun d'entre nous émet par pur et simple paresse. Je n'étais pas paresseuse, je refusais de me laisser abattre. Je croyais à la maxime « du regret ». Ne sommes-nous pas plus soucieux de ce que l'on a lorsqu'on l'a perdu ? Mais je n’avais rien perdu. Ce soir, je voulais gagner !

En fixant un rendez-vous nocturne à Adel. Je ne désirais pas jouer. Je voulais gagner. A quoi, me diriez-vous ? A faire que mon projet se réalise, avec ou sans lui. Alors que Londres pleurait toutes les larmes des cieux, j’étais bien à l’abris à l’intérieur du MAP, plus exactement dans la section studios, je connaissais certains techniciens, et j’entamais déjà une bière en leur compagnie. Pas joyeuse. Juste déterminée. Austin me donna carte blanche. Le malheur de celle-ci, est qu’elle soit vide, rien qui soit pioché dessus, aucune indication, aucun signe, aucun mot ni aucun conseil. Carte blanche. Comme un « débrouilles toi », plus classe, par l’usage de ce terme et non du commun. J’allais me débrouiller. J’allais trainer avec moi Adel. A cause de lui, tout ça. Il avait refusé ma demande. Je lui donnerai la responsabilité de m’offrir un nom, qui accepterait de tourner la pub que j’attends de faire depuis bientôt six mois. Je n’étais pas heureuse. J’étais stressée.

Ecoutant d’une oreille distraite les copains bavardaient. Mon portable fit un meilleur travail qu’eux en m’extirpant de mes songes. Adel était déjà arrivé. Et je soupirais. Je l’ai appelé, je voulais le voir. Le malheur est que je ne savais pas comment lui parler autrement qu’en allant directement dans le vif du sujet. Ce qui explique ma mollesse à monter à l’étage, vers le bar. Je n’avais même pas réalisé qu’il était en retard. Pour arranger le tout, je fus accosté par un jeune homme, puis une jeune fille, des selfies avec Tallulah Rivers. Je me revoyais d’un coup à attendre sagement l’apparition de Brandon Lewis, pour une photo, un autographe, et même un bisou.

J’arrivais enfin au comptoir, je lui en voulais silencieusement d’avoir choisi cette place, au lieu d’une table. Je soupirais à nouveau, et m’avançais. Ma main alla cachait ses yeux, alors que je murmurais à son oreille, sur un sourire. « Je connais une meilleure place, tu me suis ? » Je libérais ses yeux, et mon sourire s’agrandit lorsque mon regard croisa le sien. Je fis signe au barman d’apporter des bières à ma table habituelle. « Au cas ou tu te le demanderais, j’étais là…dans les studios en bas » lui balançais-je, d’un coup, moins malheureuse, un peu plus joyeuse. On prit place à cette table plus tranquille. « Je m’ennuyais à t’attendre…ça a été ta journée ? »

Si je pouvais décrire ma relation avec Adel, je l’associerais à un nid cotonneux où les enfants tapis, comme de beaux oiseaux que balancent les branches, dorment leur doux sommeil plein de visions blanches. Il n’y a jamais eu de nuage traversant la courbe de vie de notre amitié. J’ai pu le décevoir, et il en va de même dans l’autre sens. Seulement, rien de sombre, rien d’obscure, rien d’impardonnable n’a jamais su s’immiscer entre nous. En le regardant ce soir, je songeais un instant au passé. Puis un temps plus récent, et vint alors un autre temps s’ajoutait à la vision. Le passé, le présent et le futur se conjuguent, s'harmonisent, s'unissent. Se mêle, s'emmêle, s'entremêle, se démêle. Ainsi était ma relation avec lui, avais-je l’impression. Il n'y a pas de fin, qu'un commencement. Un commencement à tout. Un commencement au début. Un commencement à la fin. L’avenir pouvait s’amener à l’ombre d’une conversation présente. Il toque à la porte, frappe aux fenêtres, se glisse par le soupirail, s'enliser dans le jardin. Il est impatient d'arriver. Le passé est impatient, il reste tapis dans l'ombre, sans jamais disparaître complètement. Quelques fois, sa noirceur est telle qu'on l'oublie, mais il parvient à nous surprendre en jaillissant de nulle-part sans prévenir. L'avenir est lui aussi impatient. Il est plein de surprises et de stupeur. A la différence du passé, le futur peut être pressenti, mais toujours méconnu. Tandis que le passé demeure connu mais pas toujours auguré. Le passé est derrière. Derrière nous. Le présent est avec nous. L'avenir est devant nous. Il subsiste au-dessus de tout. Sauf de la mort. L'avenir reste la croyance ultime de tout homme, qu'importe ses convictions ou même sa religion.

« Non, je discutais seulement avec des techniciens » Prise un peu au dépourvue par sa question, tu me semble un peu plus curieux que d’habitude. « J’ai croisé deux fans en montant…J’aurais dû te dire que j’étais déjà là quand je suis arrivée… » Je réfléchissais en même temps que je répondais, un peu brouillon dans le choix de mes mots, un peu trop entrecoupés. Laissant mes yeux s’attarder un peu sur toi. « Tu vas bien ? » Irriguée. Je perçus de l'hésitation se reflétait dans les mares colorées qu'étaient tes yeux. Un reproche, de la lassitude alors que tu me narrais si brièvement ta journée. Je ne voulais pas m’y attarder, tu ne me laissais pas trop le choix avec tes enchainements. Même le silence paraissait trop court, ce soir.

« Ça n’a pas trop changé, j’avoue… » Mon regard venant d’imiter le sien en se perdant dans la salle principale, à la fois café et bar. Lieu de rencontre d’artistes amateurs, et parfois, on avait la chance d’y trouver des professionnels. Si j’en crois les regards, ce soir, il s’agissait de moi. Je tournais rapidement la tête vers Adel, il me surprit une nouvelle fois. Il est direct, je le sais, mais ce soir était différent de tous les autres soirs, de tous les autres rendez-vous, de toutes les visites surprises et des sorties entre amis. Je cohabitais avec la désagréable impression qu’il n’était pas bien content d’être ici. « Tu te souviens de mon projet, celui dont je t’ai parlé il y a bien longtemps ? » Je teste ta mémoire, je veux voir si comme moi, tu me considères comme ton passé, présent, et sans doute futur. « Ça se concrétise, et j’en ai discuté avec Austin qui me donne carte blanche pour le tout…Et là, ça urge vraiment, j’ai besoin de quelqu’un pour travailler le clip promotionnel…As-tu des noms à me proposer ? » Je joue carte sur table, parce que c’est ce que tu recherchais, n’est-ce pas ?

Si durant des années, ma condition de fille unique des Rivers m'avait longuement pesé, j'en avais souvent ressenti ses avantages, fut une époque. Écoles privées, cours particuliers, professeurs de langues étrangères. J'avais tout eu. Je n'avais eu qu'à claquer des doigts pour obtenir ce que je souhaitais, ce qui provoquait en moi une profonde lassitude. Tout comme les soirées mondaines qui n'évoquaient qu'un bref dégoût. Ce n'était qu'un bal d'hypocrisie et de faux-semblants, où les vieilles familles et les nouveaux riches se mêlaient avec des sourires pincés. Où il fallait avoir un balai dans une certaine partie de l'anatomie pour pouvoir être intégré sans problèmes. Ce genre de soirées, ça se trouvait aussi lorsqu’on était une célébrité, où la nourriture est aussi toxique que les gens qui la dégustent. Si plus jeune, j’allais aux soirées mondaines ou les Rivers étaient conviés, c’était pour me montrer, m'exhibais et choquais cette bande de vicelards édentés. Ce que je préférais ? Me rebeller contre le système. Désormais, j’assiste aux soirées mondaines pour me montrer également, dans un but un peu plus professionnel. Vous comprenez alors qu’en dehors de ces soirées, j’aimais me retrouver dans des endroits plus simples, ou tout le monde se mélangeaient sans en ressentir de complexe de supériorité ou d’infériorité. Je ne cracherai pas sur le fait qu’il sent extrêmement bon parfois d’être connue. D’autres fois, on a juste envie de redevenir quelqu’un, qui ne soit pas connu. Ce qui expliquait mon choix de lieu de rendez-vous avec Adel.

S'il y avait une chose que je ne supportais pas, c'était de me sentir enfermer. Je continuais à être madame tout le monde dans ma tête, j’avais ce besoin de garder un pied dans la réalité, même si les journaux avaient cette tendance à me coller une image qui ne me convenait pas souvent. Et avec toi, Adel, je me sentais moi-même. En toutes circonstances, tu es la variable inchangée dans ma vie, et ce ; depuis tant d’années que j’avais bien cessé de compter à un moment donné. Je te connais par cœur, et je sais quand quelque chose ne tourne plus rond. En l’occurrence, je sentais ce soir que quelque chose était « off ». Toi et ton petit côté enfantin, insolite. Lorsqu'on te voyait avec tes grands yeux expressifs et surpris par la moindre folie, on n'avait qu'une envie : faire la moindre folie avec toi. Tu étais fortement comique lorsque tu paniquais pour un rien, à propos de tout…Ce soir, tu semblais être tout le contraire. Et c’était à ton tour de me surprendre.

« Qu’est-ce que tu veux dire par changer d’avis ? » Rebondis-je, intriguée et bien curieuse d’entendre la suite. J’avais mon idée sur ce changement, mais je ne voulais pas me précipiter vers une conclusion, j’ai été déjà déçue une première fois, je n’avais pas envie de l’être une seconde. Mais j’étais tout ouïe ! Tu parlais tellement vite, que j’avais presque eu du mal à suivre, même à accepter ce que tu venais de me dire. Je portais mes mains sur ma poitrine, partagée entre l’envie de bondir pour te prendre dans mes bras, et celle de me modérer et de m’assurer d’avoir bien entendu. « T’es sérieux ? T’es…t’es vraiment sérieux ? » Je voulais avoir une confirmation. « Je croyais que tu ne voulais pas…que c’était pas un sujet pour lequel tu étais à l’aise » Je m’agitais dans ma place, mes mains surtout étaient en traine de s’exprimer pour l’entièreté de mon corps. Je voulais tant que ce soit lui qui s’en occupe ! « Pourquoi as-tu changé d’avis ? » Je ne voulais pas que ce soit pour me faire plaisir, même si c’est réussi, mais je n’en voulais pas de cette raison, je voulais entendre quelque chose de plus concret !

Ʃkaemp はは

Come Together

Adel s’est rendu compte que lui et Tallulah ne faisaient pas partie du même monde. En cela, il ne cherche pas à opposer la musique au cinéma. C’est seulement que la jeune femme est une célébrité absolue. Tandis que lui, malgré un premier long-métrage concluant et des courts-métrages connaissant leur petit bonheur sur de nombreux festivals…Il n’appartenait pas à la même classe sociale. Enfin, les Rivers étant une riche famille, c’est depuis le tout début que lui et Tallulah n’y sont pas de la même « trempe ». Il ne fait pas partie de cette pyramide humaine, de cette pyramide sociale. Adel réalise bien la nécessité – pratique – de certaines pyramides sociales, mais il préfère que ce genre d’association soit relax et passager. Quelque chose qu’il ressent ici-même et auprès de la jeune femme. Il n’aime pas les jeux sociaux quand il est à jeun (ce qui lui arrive souvent), c’est juste qu’Adel n’aime ni les artifices, ni les stars d’un soir ni les marquages de territoires à la mode canine.

Comme il est sûr que c’est le cas chez d’autres personnes aussi, le temps du lycée fut pour lui un processus d’apprentissage assez horripilant à cet égard. Il est toujours suspicieux envers ceux qui disent avoir adoré leur expérience estudiantine. Le collège, le lycée et la fac, particulièrement le premier, sont les endroits où les pyramides sociales se construisent avec un tant soit peu de sérieux en premier lieu, mais sans les couches d’étiquette rituelle pour amortir les coups qui vous pleuvent sur la gueule. Rester en dehors de la pyramide, c’est, pour étendre la métaphore, se retrouver perdu dans le désert. Le concept d’une vie monastique spirituellement pacifique dans ce désert n’y a pas encore pénétré nos esprits. Au lieu de ça, c’est la ruée folle pour le sommet de la pyramide, ou du moins éviter de rester cloué au sol. Il n’a jamais eu ‘de groupe d’amis’ depuis le collège et il ne s’en porte pas plus mal. Il a des potes individuels en divers lieux et contrées exotiques (ou pas du tout) et il connaît assez de gens dans son entourage proche pour prendre son pied autour d'une pinte dans la dimension ludique de la pyramide pendant son temps libre.

C’est peut-être cette attitude, de se refuser à entrer dans une sphère qu’il ne supporte pas, qui le retient de toucher un nombre incalculable de projets, qui pourrait être un tremplin pour lui. Tant pis si on le prend pour un coincé de la vie. Mais, il venait de changer d’avais concernant ce projet pour Tallulah. Parce qu’il y avait un repère dans cette nouvelle pyramide humaine, dans cette nouvelle sphère. Et il s’agissait d’elle, de celle qui ne l’a jamais jugé, qui a toujours cru en lui…

« Ouais ! » Dit-il, en hochant de la tête. Il était sérieux. Il ne rigolait jamais sur ce genre de sujets. « J’avais surtout besoin d’y réfléchir…je crois » Ajoutait-il, n’étant pas lui-même encore certain de la réelle raison de ce tournant. « Tu sais bien que certains milieux…ne sont pas faits pour moi. Je crois pourtant avoir compris qu’il faudrait que j’ose plus si je veux aller quelque part » Il réalisait de plus en plus, qu’il ne pouvait pas rester toujours en arrière-plan, que lui aussi pouvait mettre les pieds en certaines pyramide, sans s’y attarder et sans abandonner ses principes. «  et puis…Tu seras là, et je me sentirai moins perdu avec toi à mes côtés » avouait-il, le regard un peu fuyant.

Tallulah & Adel

Spoiler:

Si j'avais un don pour me faire remarquer, toi, tu avais une véritable qualité innée pour te fondre dans le décor, en tout bon réalisateur. J’ai toujours aimé ce calme, cette réserve et je dirais même ta pudeur. Je n’aurais su quoi faire d’un ami trop semblable à mon caractère. Tu me soufflais un équilibre qui m’a toujours manqué. Tu ne réalisais toujours pas à quel point ta présence dans ma vie est un pilier que je ne voudrais pas voir se briser, jamais. C’est vrai, toi et moi, nous sommes différents. La musique des Black Stones nous a un jour réunit. A l’époque, tu me voyais peut-être comme l’amoureuse transit du guitariste, qui a fini par devenir la petite amie du guitariste, puis a quitté le guitariste mais pas la musique, par le rock. J'étais le rêve d'une jeunesse désabusée, l'enivrement de la candeur sorti d'enfance. Je n'étais pourtant plus cette adolescente au bord de ses vingt ans, âge où l'esprit mûrit et grandit, s'affranchit de ses pensées ultérieures. Mais j'avais peur. Non pas peur de vieillir, les rides et les cheveux blancs sont le cadet de mes soucis, non, j'avais peur de ne plus pouvoir me cacher derrière la fleur de l'âge. J'avais peur de finir par me conformer et abandonner mes idéaux. Car, le temps et l'âge ont raisons de nos batailles. Et je ne faisais pas suffisamment confiance pour aborder une nouvelle ère dans ma vie. N'oublions pas mes ambitions. Que reste-t-il d'un rêve réalisé ? Les souvenirs de cette époque où l'on était entrain de le réaliser ? Sans doute.

Je t’écoutais, m’expliquer ton changement d’avis, ton ambition nouvelle. Je souriais, pensant qu’il était temps que le réalisateur en toi se réveille et tente des choses qui sont à sa portée. Je n’ai jamais douté de toi, Adel. Je ne sais plus comment te le dire. Peut-être faudrait-il un jour que j’use d’autre chose que des mots devenus bateau. Je ne rebondis pas sur tes mots, je te laisse continuer ton flot de paroles, j’aimais quand tu devenais bavard. J’étais attendrie par ces dernières paroles. Mes lèvres s’étirent, une pointe de joie gagne petit-à-petit mes veines et circule doucement en mon sang. Elle se propage dans l’entièreté de mon corps au fil des paroles qu’il m’offrait. Quelque chose en moi empêche pourtant une explosion qui aurait dû avoir lieu. Mon sourire se transforme en léger rire tandis que je laissais mes yeux gagnaient les siens avec tendresse et engagement.

Je prononçais submergée par l’émotion… « Merci, Adel. T’as pas idée à quel point ce changement d’avis me fait du bien ! » Si je ne lève pas afin de l’engager dans une accolade chaleureuse. Ma main glisse sur la table, jusqu’à ce que mes doigts frôlent les siens. Ma main est assurément à la bonne place, dans la tienne. « J’ai hâte qu’on se lance dans ce projet ! Je suis plus que certaine que ce sera un carton ! » La prise de ma main sur le sienne se fait plus forte. Je ne lui broyais pas les phalanges, mais je ne voulais pas le lâcher. « Tu réalises le chemin qu’on a parcouru ? Des fans des Black Stones, à la place dans laquelle chacun de nous se trouve aujourd’hui…Si on te l’avait dit à l’époque, tu aurais cru à ce scénario ? » Je ne saurais expliquer pourquoi je lui posais cette question, je me la posais moi-même sans ressentir le besoin de lui donner une réponse.

On a des tas de chose à dire à l'autre et justement on se force à se taire quand il nous adresse la parole. On voudrait qu'il s'intéresse à nous et justement on fait une tête qui ferait fuir n'importe qui. On lui montre qu'on se fiche complètement de lui alors que justement c'est la personne qui occupe le plus notre esprit en ce moment. Ah c'que c'est simple ! On ne sait pas trop comment ça a commencé…ou plutôt si on sait, mais voilà, on a décidé d'adopter la stratégie de la carpe, on ne lui parle plus jusqu'à ce que ... on ne sait pas, on verra. Quand tu fais échapper ta main de l’emprise de la mienne, quand tu me dis des mots qui le font tirer une grimace forte en incompréhension…Je le comprends à ce moment, tout ce que j’ai décrit plus faut. Je comprends aussi la contradiction, peut-être que je la vivais moi-même, et depuis plus longtemps que ce que je voulais bien croire. Et tu sais quoi, Adel ? Plus le temps passe et plus le problème prend de l'ampleur. Jusqu'à ce qu'on en arrive même parfois à ne plus savoir pourquoi on ignore l'autre et qu’on se dit que tout peut s’arranger si on essaye. Le regard foudroyant ou la moue boudeuse, chacun son style. Il est vrai aussi qu’aucun de nous deux n’est entrainés à cet exercice. On est toujours responsable du comportement qu'on a avec les autres, à ce qu’il parait. On dit que c'est à cause de l'autre mais au fond on sait qu'on y est pour quelque chose, non ? Bonne nouvelle, on peut décider de sortir de ce silence infernal, décider de nous faire du bien ? C'est vrai ça demande parfois de faire l'effort de retrouver la parole, de mettre son orgueil de côté mais ... ça fait du bien. C'est beaucoup moins fatiguant …Vraiment ? J’ai de grands doutes là-dessus…

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » Je te regarde, confuse, peut-être ai-je mal interprété tes propos.  Que m’avait-il pris de parler du passé, d’y penser, de le refaire revenir. Ma langue qui me dépasse, elle faisait des dégâts par moments, mais d’un dégât avec toi, je n’en voulais pas. Je retenais mon souffle. Les mots me manquaient. La parole m'avait quitté. Je restais béate. La bouche fermée cependant. Mon visage n'exprimait plus rien et mes yeux semblaient se perdre dans l'infinité ténébreuse du mur qui se démarquait derrière toi. Je réfléchissais, toujours et encore avant de répondre. N’écoutant pas un mot de ce que tu venais tout juste de me dire. Tu m’as eu, j’étais trop absorbé par tes propos précédents. Je fronçais les sourcils. « Attend là, on fait un petit retour en arrière, tu veux ? » Mes mains quittèrent la table, puis se figèrent un instant, avant de dégringoler dans le vide. Je les glissais dans les poches de ma robe, avant de porter derechef mon attention sur toi. « Tu viens de me dire que t’as toujours le béguin…pour moi ?! » Je riais, mon souffle se répandit dans l'atmosphère comme une fumée limpide et éphémère. Je croisai ton regard, peu propice à la plaisanterie, je me raclai la gorge avant d'ajouter d'un air qui se voulait naturel.

« Désolée…C’est sorti tout seul, c’est…Enfin, Adel ! Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? » Peut-être parce que tu craignais ce type de réaction, qui était juste une façade, couvrant péniblement le tournis que tu m’as transmis par ta confession, s’en était bien une, n’est-ce pas ? « Tu sais que Brandon et moi, c’est fini, depuis des années. Et que…Je n’ai jamais osé considérer les choses de cette façon entre nous…Mais, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas en parler ! » Je détournais les yeux, incertaine. A présent, ça se voyait, je nageais en plein tourbillon interrogatif. Pas sur toi, mais bien sur moi !

Adel Westwick a écrit:

Ʃkaemp はは

Come Together

Ce contact avec elle était pour lui comme une sensation nouvelle, un plaisir se rependant par chaque nerf de son corps. Un simple contact pourtant, une main prise non pas par mégarde mais par envie. Il y avait quelque chose qui l’avait toujours attiré chez Tallulah, pas forcément physiquement, d’ailleurs, Aden donnant si peu d’importance à ce fait. Peut-être le fait qu'elle l’avait connu dans une simplicité et une complicité instantanée dans leurs rapports, ou le fait qu'ils étaient passionnés par les mêmes choses, ou encore que les rapports familiaux qu’a connu Tallulah et qui l’avait rendu plus tendre envers elle. Le jeune homme ne savait pas, et au fond, il ne voulait pas savoir. Le mystère qui entourait cette attirance à présent avouée, lui apportait une part de sa beauté, de son charme et de sa puissance. Il se surprit lui-même à profiter tant de ce précieux. Cependant, il revint un cours instant plus à la raison et à la réalité des choses. Il se savait parfaitement dans la réalité même si cela avait tout du rêve. Pensant alors déjà plus par sentiments que par raison, il se décida à taire ce qu'il avait dans un premier temps voulu lui avouer. Il fallait profiter du moment, ne plus penser aux conséquences où à une éventuelle suite, après tout, le carpe diem était pour une fois une excellente excuse.

« Je n’ai rien dit d’important… » Non, pas de carpe diem avec Adel, ça ne fonctionnait pas de la sorte. Les conséquences, il n’était pas encore prêt à y faire face. Avouer la chose de façon claire, est une étape qu’il n’a jamais envisagé de faire. Il n’avait pas été blessé qu’elle choisisse Brandon Lewis, ou encore jaloux, à cette époque. Il avait été heureux pour elle, parce qu’il avait été témoin de l’amour de Tallulah pour le guitariste. Il savait qu’elle était follement amoureuse, et il avait été ravi de la voir épanouie à ses côtés. Lui, avait gardé sa place dans l’ombre, celui de l’ami, du meilleur ami, toujours réjouit d’apprendre les bonnes nouvelles, compatissant en mauvais temps, et confident absolu. Il ne se plaignait pas de cette place, il ne lui viendrait jamais l’idée de le faire. Le rire de Tallulah l’a quelque peu agacé. Même s’il constatait qu’il n’était pas moqueur, mais il aurait préféré un silence complet, plutôt que ce rire vaporeux, éphémère, mais dont le son l’avait chicané.

En parler, et s’il s’en trouvait incapable ou qu’il ne le voulait pas ? Il soupirait déjà en laissant son regard fuir vers les alentours et l’animation du bar. Il se rendit compte à ce moment qu’il avait à peine touché à sa bière depuis qu’ils s’étaient installés à cette table. Il empoigna celle-ci et en vida quelques gorgées, avant de ne la reposer doucement, et de laisser ses grands yeux croiser ceux de la jeune femme. « En parler pour en dire quoi, pour en tirer quoi exactement ? » Il hochait des épaules, un peu largué, se sentant trahi par son propre esprit, sa langue qui avait glissé. « On n’a pas à considérer les choses d’une autre manière, Tallulah. Ce n’est pas ce que je demande. On peut poursuivre sur le même ton qui a toujours existé entre nous ! » Il prononça ces quelques mots, en laissant de nouveau son regard tomber sur sa bouteille de bière.

Tallulah & Adel