Les écouteurs dans les oreilles et ses mains enfoncées dans les poches de sa veste, il sort de la rame de métro, se dépêche dans les couloirs souterrains puis sort de la station et remonte la rue bondée de Camden Town rapidement. Il n’est pas en retard, pourtant. Mais Ciaran a pris l’habitude d’aller un peu trop vite dès qu’il va quelque part, dès qu’il prend les transports. Il a pris le rythme de la capitale - contre son gré vraiment, pour commencer. Mais cela fait des années maintenant qu’il habite ici, et il sait bien qu’il est peine perdue de chercher à prendre le temps ici, quitte à se faire marcher dessus. Il lui arrive de prendre quelques jours de vacances, ou bien même de simplement remonter en Ecosse - pas dans son village, mais en Ecosse - pour un week end, pour souffler, prendre le temps, oublier l’effervescence de Londres, qui ne dort jamais, qui ne s’arrête jamais. Si Ciaran l’adore cette ville parce qu’elle lui a tout apporté, il a besoin de prendre ses distances avec elle parfois.

Il n’est pas en retard, et surtout, il n’a aucune raison d’aller vite. Ce n’est pas comme s’il était pressé de se retrouver là où il doit se rendre. Ce n’est pas comme s’il avait hâte de rencontrer la personne avec qui il a rendez vous. Il ne sait même pas pourquoi il a accepté cette situation - c’est faux, bien sûr. Il sait très bien pourquoi il a accepté. Monroe.

Il a rendez vous avec Dylan Henderson dans un café, aujourd’hui. Rien de bien folichon ou complètement dingue aux premiers abords, n’est ce pas? Sauf qu’il s’agit de Dylan Henderson et qu’il n’a pas franchement envie de se retrouver seul avec lui. Mais Monroe lui a dit que ça allait bien se passer, et aussi qu’il n’était pas obligé d’y aller, s’il n’avait pas envie. Et bien sûr, Ciaran, incapable de lui refuser quoique ce soit, ne souhaitant surtout pas le décevoir, a pris sur lui et a confirmé qu’il s’y rendrait.

Il tourne dans une ruelle adjacente, jetant un coup d’oeil à son google maps. Là, maintenant, il a surtout envie de faire demi-tour. En plus, pourquoi Dylan aurait envie de le voir? Il ne voit pas bien de quoi ils pourraient parler, et surtout, il semble clair depuis leur dernière “conversation” (ou plutôt les rares mots échangés) que Dylan le trouve inutile et sans doute pas vraiment digne d’être avec son meilleur pote, Ciaran a vrai dire peut comprendre vu son incapacité à faire quoique ce soit quand Monroe est arrivé complètement sanglant chez lui; ce qui n’est qu’une raison de plus pour appréhender cette rencontre. Sans compter, bien sûr, tout le reste: la corrélation Dylan - violence - Monroe en sang - Dylan qui pète des plombs et massacre des gens, accessoirement. Mais en fin de compte, Dylan a sauvé Monroe, et rien que pour ça, Ciaran se sent dans l’obligation d’écouter ce qu’il a à dire.

Il ralentit alors qu’il se rapproche. Soupire, éteint son ipod avant de le ranger de nouveau dans la poche de sa veste, et laisse les écouteurs pendre sur un côté de son vêtement. Il est en avance. Il jette un coup d’oeil à la devanture du petit café qui ne paie pas de mine mais qui semble tranquille. De toute façon, c’est pas comme si Dylan allait le cogner, right? Il se secoue mentalement et prend une inspiration avant d’entrer dans le café. Il l’aperçoit déjà, dans un coin au fond de la pièce - et se force à avancer jusqu’à lui avant de faire volte face tant qu’il ne l’a pas encore vu. “Hi” Il lance, simplement, alors qu’il s’assoit sur la chaise en face de lui. “T’avais bien dit 14h?” rapport au fait qu’il n’était pas encore moins dix.

L'habitude. La musique se répète inlassablement, le refrain résonne à intervalle régulier dans le creux de vos jours, alors que vous connaissez déjà le moindre accord de cette entêtante chanson. Tout se ressemble, se confond et s'amasse en une foule pêle-mêle de souvenirs désenchantés. J'ai arrêté de croire que demain serait mieux – demain sera simplement comme aujourd'hui : des bonnes nouvelles, des mauvaises idées, d'heureuses initiatives et de malheureuses circonstances. Le meilleur des mets, goûtés à chaque repas, ne devient rapidement plus qu'une fade habitude. Mon quotidien est une fade habitude. A consommer avec modération. Les heures fixes sont devenues de monotones habitudes. Les joints m'aidaient, au début. Peut-être était-ce juste la sensation grisante de la nouveauté, d'un état euphorique subitement à portée de lèvres. C'était tellement facile – il me suffisait d'amener ce petit cylindre à combustion, et tout était soudain à ma portée. Ça me rappelle un bouquin que j'ai lu, il y a de cela quelques semaines : la drogue, les premiers temps, on la prend pour s'amuser ; et puis, le temps aidant, on finit par ne la consommer que pour être comme les autres jours. Rien de plus. Penser être heureux par ce simple subterfuge me paraît maintenant bien dérisoire : on actionne une cause, on en obtient l'effet. Il suffit de résoudre l'équation. Autrement dit : on emplit ses poumons de fumée, et l'endorphine se propage à travers des veines désormais violacées. Il n'y a plus de recherche, de combat, d'envie, de risque. Le bonheur n'est plus un défi, mais tout juste l'issue finale d'un mécanisme, dont les rouages rouillés sont la satisfaction de besoins matériels. Tu payes, tu gagnes. Sinon, dommage – prends un ticket et viens agrandir la file d'attente des oubliés. Suis-je vraiment dépendant de cette merde ? Non, impossible. Je refusais de le croire. Le monde a de lui-même érigé ses propres barrières pour ceux qui refusaient de se plier à ses conditions arbitraires. Le manque de liberté me contraignait, le manque de soumission me retient. L'addiction seule me tient éveillée, mais à quel prix ? Si, le temps aidant à en dissiper les effets, elle ne peut guère plus me faire vibrer, alors quel recours ai-je, pour rétablir les mouvements réguliers de ma cage thoracique ? L'insolvable énigme est : une addiction remplace-t-elle forcément l'autre ?

Emergeant progressivement de ses rêveries, Dylan se redressa. Il écrasa son joint avant que ce dernier n’atteigne sa fin. Comme pour se convaincre que tout allait bien, et qu’il maitrisait toujours autant la situation. C’était le premier en quatre jours, bien sur qu’il maitrise la situation. Bien qu’il tienne à son apparence, il fit aujourd’hui un petit effort supplémentaire. Il détestait l’idée que la personne qu’il allait rencontrer penser si peu de lui. Il y tenait tout de même à cette rencontre, à ce face à face primordial. L’occasion de remettre certaines pendules à l’heure, et peut-être, remettre les compteurs à zéro. Evidemment que Dylan est conscient de l’image qu’il peut laisser ancrée dans l’esprit de certaines personnes. Celle d’un cinglé bon pour l’asile. Ou alors, un mec froid qui se prenait pour tout puissant. Parfois un professionnel perfectionniste et remarquable. Souvent, un être un peu étrange, insaisissable, trop lointain. Dylan était tout ça, à la fois. Pour Ciaran, il est encore temps de ré-ajuster sa perception du photographe.

Il quitta son appartement bien tôt, habitant non loin de Camden Town, il n’avait pas ce besoin de sortir avec cette avance. En terrain neutre ou pas, Dylan aimait toujours être à l’avance. S’imprégner de l’atmosphère du lieu, se laissait prendre à ses rêveries, le temps que son principal interlocuteur du rendez-vous vienne. Il s’installa à une table à deux au fond du café. Il commanda une viennoiserie à laquelle il ne toucha pas. Son regard se perdant au de-là de la fenêtre qui lui faisait face. Si les silhouettes passèrent dans son champ de vision, il ne fit attention à aucune d’elle. Jusqu’à ce qu’un « hi » vienne l’arracher de ses pensées, et qu’il remonte la tête vers l’homme prenant place face à lui. Ciaran Flowers. Petit ami attitré de son meilleur ami. Son regard noisette gagna en éclat et un sourire si caractéristique à Dylan vint prendre place sur ses lèvres. Le genre de sourire qu’on ne sait pas encore comment qualifier. Chaleureux, ou juste un peu fou.

« Je suis toujours en avance » répondit-il simplement. S’attardant deux secondes sur son vis-à-vis avant d’ajouter. « Qu’est-ce que tu prends ? » Demandait-il en faisant signe vers le comptoir pour qu’on vienne prendre note de leurs commandes. « Il paraitrait que je te fais quelque peu flipper, c’est sérieux comme rumeur ? » Son expression était sérieuse, à ce moment. « Tu m’en tiens toujours rigueur de la raclée donnée à cette vermine ? » Un petit tour dans le passé, il devait commencer par là.

Ciaran ne savait comment prendre le sourire de son interlocuteur mais il ne le rassurait pas extrêmement sur la discussion à suivre. C’était un fait, Dylan le mettait profondément mal à l’aise. Peut-être était-ce infondé, mais d’une façon ou d’une autre, le photographe semblait incarner tout ce que les principes de l’écossais rejetaient. C’était sans doute idiot. Ciaran n’avait pas la prétention d’être meilleur que les autres - mais il essayait de suivre les règles qu’il s’était fixé, il aspirait à les respecter. Il se trompait souvent. Mais il pouvait être assez borné; et malgré les années passants, certains de ses principes étaient encore bien insistants dans son esprit, vestige bien ancien ancré dans sa matière grise. Bien que, ces derniers temps, sa propre hypocrisie se révélait de plus en plus à lui; et les frontières se brouillaient. Est ce qu’il se prétendait meilleur que Dylan? Sans doute, et cette réalisation ne lui plaisait pas vraiment.

“Un cappuccino s’il vous plaît” il demande en se tournant légèrement vers le serveur qui vient prendre leur commande avant de reporter son attention vers Dylan à sa question qui le pique un peu à vif et qui le fait se renfrogner un peu malgré toute sa bonne volonté, et une vague de ressentiment qui le submergeait. Monroe. Il fallait vraiment qu’il aille dire à Dylan qu’il le faisait flipper?! Il roule légèrement des yeux. “Tu me fais pas flipper.” Il répond avec une évidente mauvaise foi, venant de lui qui appréhendait cette rencontre depuis que son homme lui en avait parlé. Il pousse un soupire. “J’imagine que je dois toujours te remercier pour ça.” Il pense tout haut. Ne pas être ingrat, c’était un autre de ses principes ça. Il faut dire que le type avait été particulièrement odieux, Ciaran se souvenait encore de ses insultes. Menaçant, aussi. Il en serait peut être venu à le frapper, si Dylan ne l’avait pas “calmé” avant qu’il n’en ait l’occasion. Mais Ciaran avait l’habitude, il avait pas mal d’ennemis du genre; par ses actions et en étant trop vocal sur les réseaux dans son combat pour les droits lgbtq+. Il avait appris à les ignorer comme il pouvait.

“Mais ça aurait pu se finir autrement qu’un massacre. Déjà il en valait pas la peine, et ensuite… “ Il hausse les épaules. “en vrai, ça t’a apporté quoi, de le tabasser?c'est pas ça qui allait l'arrêter de cracher sur quelqu'un d'autre”

Monroe lui avait dit que ça le faisait se sentir vivant; pour Dylan, la même chose? Ciaran était assez incapable de comprendre ça. Il n’avait pas fait de commentaire quand Monroe lui avait parlé de ça. Il était sur le point de pleurer à cet instant, et il n’avait pas eu le courage de rétorquer quoi que ce soit sur le sujet - ce dernier avait été clos. Mais ce n’était pas clos, dans sa tête. C’était qui ce type? Pourquoi ils avaient prévu ce combat, et pourquoi Monroe se battrait avec un type qui possédait une arme blanche? De toute façon ou d’une autre, il associait le résultat de tout cela avec Dylan. Même si Dylan avait tiré Monroe d’affaire. Contradiction qui le préoccupait.

C’était peut être cliché, c’était peut être profondément naïf, mais Ciaran n’aimait vraiment pas la violence. Il ne voyait pas l’intérêt, ça n’avait jamais résolu quoique ce soit. C’était juste… bête. C’était s’abaisser au même niveau que ceux qui vous provoquaient. Et l’expression sur le visage quand Dylan cognait ce type… oui, Ciaran s’en souvenait encore, ce qui expliquait toute son appréhension à son égard; et à l’idée, qu’il le veuille ou non, que le photographe était le meilleur ami de Monroe. Il ne pouvait pas sortir de sa tête cette idée que Dylan avait une mauvaise influence sur le barman. Il gardait ça pour lui ceci dit, ça ne plairait clairement pas à Monroe d’entendre ça. A Dylan non plus sans doute, mais ça c’était pas bien grave, Ciaran savait déjà qu’il ne devait pas avoir une grande estime de lui.

Les gens disposent toujours d'un infini réservoir de vocabulaire, lorsqu'il s'agit de parler de vous – il n'y a d'ailleurs guère meilleur moyen pour délier les langues, que de demander l'avis d'autrui sur une tierce personne. Peut-être est-ce là un moyen de désacraliser celui que l'on avait trop hâtivement hissé sur un piédestal, ou peut-être est-ce juste là une vaine initiative visant à faire de l'autre un faire-valoir de ses propres atouts – le fait est que cet examen, quelquefois savamment conduit, est une source d'information intarissable, soit sur son interlocuteur, soit sur la personne dont il est question. Ce phénomène est clairement en voie d'accentuation, ne serait-ce que par le rôle croissant des médias pour alimenter ces dires – aurait-on besoin de citer, pour illustrer ce propos, les frasques fantasques de la presse à scandale ? Bref, revenons-en au cœur du sujet.

Si justement l'on se permettait d'estimer l'avis général émanant des fréquentations de Dylan, je pense qu'il en résulterait le portrait de quelqu'un qui, finalement, lui est bien étranger. Prenons un exemple concret : pour la plupart de ceux jugeant le jeune homme, la notion d'attachement n'apparait qu'en des circonstances particulièrement rares – et je vous avoue que l'on emploie volontairement cette tournure diplomate, afin d'éviter l'affirmation ouverte d'un être dénué de tout sentiment banalement humain de sympathie. Ce vice, qui lui colle à la peau, résulte très probablement de l'idée que l'on se fait injustement de ceux établissant leur commerce dans une sphère trop mystique– les gens ne cherchent généralement pas plus loin que les apparences, si trompeuses soient-elles, et malgré leur soi-disant liberté de penser –, d'autant plus que Dylan n'avait pas pour ambition de rétablir un semblant de vérité dans les esprits. L'entreprise lui paraissait vaine : si tôt que cette froideur ne lui serait plus attribuée, un autre vice viendrait assurément en remplacement du premier.

Or, si justement l'on pouvait citer une constante dans les traits de caractère du jeune homme, il s'agissait bien de sensibilité – non pas dans le sens commun d'émotivité, certes, mais dans celui plus littéral d'appréciation du monde grâce aux sens. Quoiqu'il ait pu entreprendre, il cherchait avant tout à y trouver une sensation décuplée. Ce en quoi la drogue l'avait aidée, les combats l’avait boosté. Il brûlait de sensation nouvelle, pour mieux se consumer du feu de ses excès, et de cet appétit insatiable de contrées encore vierges de toute empreinte.

« C’est toi qui vois » Dit-il sans trop de convictions, il n’était pas ici pour avoir le merci de Ciaran. Bien que l’ingratitude soit l’un des traits humains qu’il haïssait le plus. « A chaque fois que cet abruti voudrait cracher son venin sur quelqu’un, il se souviendra de la raclée que je lui ai infligé…et y réfléchira à deux fois à ses actions » Là, il y mettait de la convictions. Il ne cherchait pas pour autant à convaincre Ciaran de sa vision. Il s’en fouttait un peu que ce dernier soit d’accord avec lui. Il tenait cependant à répondre à ses questionnements, qu’il ne comprenait pas forcément. « T’as déjà été dans un combat, Ciaran ? » Lui posait-il comme question, avant d’ajouter sur un ton bien plus posé. « Toute action est bénéfique. Le tout est de comprendre le terme sur lequel l'éclat de la satisfaction se révèlera » Il avait besoin de ce contact frontal, violent, direct avec les choses, afin de mieux les ressentir – ce qui expliquait non seulement ses désirs sans cesse renouvelés, mais également sa lassitude vis-à-vis de l'habitude, dont le moindre ressenti inédit avait déjà été distillé maintes et maintes fois.

« Si tu n’as jamais rien connu de tel, alors toutes les explications du monde n’arriveront pas à te convaincre. On n’est pas d’accord sur le sujet ? Tant mieux ! Rien ne nous oblige à l’être » Il ne cherchait pas à s’en faire un ami. Et comprendre Dylan ? Même son meilleur ami n’y arrivait pas. Cette ambition est très justement, un peu trop ambitieuse, surtout pour un premier vrai contact. « Nous avons un point commun, cependant. Et c’est Monroe ! Il est raide dingue de toi, et je tiens à son bonheur…Je tiens à ce qu’il renoue avec l’artiste en lui. Sur ce point, je crois que toi et moi, on peut faire la différence. » Son espresso venait de lui être servi. Dylan alla prendre un bout de sa viennoiserie, le geste effectué de ses doigts était tellement précis, qu’on aurait pu croire que ce fut un couteau qui coupa si précisément son morceau. « Qu’en penses-tu ? » Dit-il avant de faire disparaitre son morceau de viennoiserie dans la bouche, l’imbibant d’un peu de café la seconde suivante.

“C’est optimiste.” fut son simple commentaire aux propos du photographe. Optimiste, Ciaran l’était plutôt de nature - ce que Dylan avançait, en revanche, il n’y croyait pas vraiment. Il avait trop eu de contacts, trop de discussions avec des gens remplis de haine comme ce type qui l’avait insulté et menacé, et il ne savait trop bien que rien ne ferait changer leur comportement. Il y avait des exceptions évidemment, mais de façon générale il ne voyait pas bien ce que ça allait changer dans la vie de ce type qui était juste foncièrement mauvais. Et d’ailleurs, le problème n’était pas réellement que Dylan l’ait défendu en cognant cet homme. Le problème, c’était le plaisir qu’il semblait avoir pris à le faire. A l’action de cogner en elle-même. Comme s’il n’avait fait qu’attendre une opportunité pour se défouler sur quelqu’un lors de cette soirée, et que ce type était arrivé à pic. ça allait bien au delà d’une simple envie d’aider son prochain, il n’allait pas lui faire croire le contraire. Il hausse les épaules. “Pas vraiment.” Il s’était déjà retrouvé la cible de coups, il avait cherché à se défendre; mais il n’avait jamais cherché de lui même la bagarre. Et il n’avait aucun intérêt à inventer quoique ce soit. Encore une fois, il refusait d’utiliser la violence.

Tout comme il ne cherchait pas réellement à la convaincre que la violence, c’était mal, mais plutôt à lui expliquer pourquoi il lui tenait toujours rigueur d’avoir frappé ce type - et il n’appréciait que moyennement le ton que Dylan utilisait pour lui parler et tirer ces conclusions - mais c’était sans doute seulement sa propre insécurité face à sa personne qui se manifestait. Il l’observa tourner la conversation sur Monroe, qui était, évidemment, la seule raison pour laquelle ils se rencontraient - ils n’avaient rien à voir l’un avec l’autre, si ce n’était Monroe. L’amant, le meilleur ami, qui les liait désormais. Ils n’avaient d’autre choix que de s’entendre.

Il remercia rapidement le serveur qui venait de leur apporter leur commande. Dylan soulevait un point auquel il songeait depuis bien longtemps, sans trop savoir quoi faire, avec la crainte de tout briser s’il faisait le moindre faux pas dans cette direction. “Evidemment… je le pense aussi, qu’il en serait plus heureux.” Monroe était un artiste, sa place était sur scène, et dans un studio. Et il semblait chercher à se dissimuler de ce fait, d’une façon ou d’une autre, à faire comme s’il n’était qu’un barman, comme si tout le reste n’avait aucune importance; n’avait eu aucune importance dans sa vie, dans ce qu’il avait été. Mais Ciaran sentait dans leurs discussions, que parfois il semblait vouloir y revenir mais qu’il semblait juste… Perdu, comme s’il ne savait plus trop comment retrouver le bon chemin…. et effrayé, comme s’il craignait d’être de nouveau être blessé.
Il fit tourner sa cuillère dans son cappuccino un instant, un peu songeur, avant de préciser le fond de sa pensée. “J’en pense que c’est une merveilleuse idée dans les faits, mais en pratique, je ne veux pas lui mettre une quelconque pression…. ça doit venir de lui.” Il ajoute et porte la tasse à ses lèvres pour quelques gorgées. “Si je peux faire quoique ce soit. Je le ferai. Mais il semble complètement se dissocier de ce passé et je vois difficilement comment l’aider sans le brusquer. Comment tu comptes t’y prendre? Je t’écoute.”

Je me rappelle avoir un jour entendu la psychologue qui nous replaçait dans les familles parler de moi, comme d'un enfant instable et psychologiquement perturbé. C'est très étrange, pour un gamin traumatisé par sa propre mère, d'entendre parler de lui à la troisième personne – surtout pour se voir affubler de telles caractéristiques, si éloignées d'une quelconque forme de vérité. Il ne viendrait à l'idée de personne, d'annoncer à la victime d'une maladie incurable en phase terminale qu'il subsiste ne serait-ce qu'une infime chance de rétablissement – alors pourquoi cette femme se permettait-elle d'affirmer qu'il puisse exister une possibilité même mince de s'épanouir aux côtés d'un gamin comme moi ? Était-il moins cruel de laisser un véritable espoir à ces généreuses personnes, qui avaient œuvré corps et âme, attentes fébriles, paperasseries, examens médicaux, bilans psychologiques, rendez-vous inutiles, et visites des assistantes sociales, que de simplement leur avouer que l'enfant qu'ils voulaient bien élever et prendre en charge, ne voulait pas de leurs cœurs dégoulinant de bons sentiments ? Probablement qu'il était plus aisé de simplement rejeter toute la responsabilité sur l'absence de mon père biologique qui n’a jamais été qu’un violeur, et de la folie de ma mère – c'était la meilleure solution pour éviter de se remettre trop profondément en question ; la vérité crevait pourtant les yeux : rien ne m'attirait, rien ne me retenait, rien ne m'attachait, pour l'unique raison que mon esprit ne s'échauffait que de passion plus brûlante et de désir plus sauvages. Il me fallait la sensation, il me fallait le plaisir, il me fallait le contact et la bataille.

Il résistait à l’envie de juger son vis-à-vis, mais le regard de ce dernier n’avait cessé de le jauger depuis le début de cette conversation. Il le sent un peu mal ce nouveau départ, mauvais départ. Pour les jugements, il va en falloir nettement plus qu’un simple café et une discussion autour de Monroe. Au fond, il avait l’impression que tout le monde le jugeait pour un rien, pour un tout. Comme il n’était pas le sujet du jour, il n’en dira rien. Mais, ça l’emmerdait carrément qu’à peu près tout le monde arbore le même regard et le même comportement avec lui. Et ce, depuis trop longtemps déjà.

« Venir de lui ? » Répétait Dylan en clignant des yeux, un peu ahuri face à tant de naïveté. Il n’avait pu d’ailleurs contenir un rictus au bout de ses lèvres. Tout en laissant Ciaran aller au bout de sa pensée avant de ne le « juger » trop vite sur ses propos. Une indulgence que l’autre n’aurait peut-être pas eu à son égard. Les faits sont clairs, pourtant. Monroe commençait déjà à prendre conscience. « Il a déjà un pied en dehors de ce bar maudit. Il n’y habite plus, et cette chienne de Darla n’a plus autant d’influence sur lui » Il enfouit de nouveau une bouchée de viennoiserie, avant de poursuivre sa réflexion et ainsi répondre à Ciaran. « Faudrait oublier cette utopie que ça vienne uniquement de lui. Il va falloir provoquer ça, l’y pousser un peu. Lui faire comprendre et voir qu’il y a des gens qui seraient prêt à miser sur lui, tout en lui offrant une liberté artistique » Mais encore ? Dylan ne disait pas s’il avait un plan ou s’il voulait y aller à l’aveugle, en tâtonnant ici et là. Dylan avait un plan, de toute évidence, vous le prenez pour qui, franchement ?

« J’ai un contact, un artiste au passé similaire, faut juste que je trouve le moyen de percuter sur ça avec lui. Quant à toi, ta profession peut bien nous servir à quelque chose, non ? » Parce que là, il va finir par croire qu’il n’est bon à rien, ou peut-être juste au lit, vu qu’il n’avait pas encore fait fuir Monroe. Au bout du compte, ce mec manquait cruellement de jus, inerte, trop lisse, pas assez entreprenant.

Ciaran n’avait sans doute pas été d’assez bonne volonté - il avait pourtant l’impression de faire des efforts énormes - parce que voilà que maintenant le photographe se foutait ouvertement de lui et de ses propos avec un ton condescendant qui commençait à l’irriter sérieusement. En d’autres circonstances, peut être aurait-il pu passer outre, ou peut être se serait-il déjà écrasé, mais il s’agissait de Monroe, et oui, Ciaran tenait à ce qu’il disait; et tant pis pour ce que Dylan pouvait penser. Il choisit cependant de rester silencieux pour laisser son interlocuteur parler et expliquer ce qu’il voulait qu’ils fassent. S’énerver ne servirait pas à grand chose, et surtout, cela n’allait pas aider Monroe, et ça, c’était tout ce que voulait Ciaran. S’il avait accepté de rencontrer  Dylan, c’était pour lui, et uniquement pour lui. Et s’il ne mettait pas déjà fin à la conversation, c’était aussi pour lui, et uniquement pour lui. “Oh tu crois?” Le sarcasme était lancé, et c’était peut être une mauvaise idée mais le photographe l’avait piqué au vif, et Ciaran n’était pas forcément la personne ayant le plus de sang-froid et de contrôle du monde, au contraire, facilement susceptible. Cependant, il prit sur lui pour calmer ses nerfs, retrouvant le focus du but de leur rendez vous - lui n’était pas important dans l’histoire, et sa dignité s’en remettrait. Monroe et son futur étaient plus importants.

Il reprit sur un ton posé. “Écoute, j’ai jamais dit qu’on devait le laisser gérer ça tout seul. Oui, bien sûr, j’ai des contacts, je connais des gens qui croiraient en lui, pour sûr, et je peux provoquer des rencontres. Et si tu as confiance en cet artiste, c’est une bonne idée.” Il pouvait le reconnaître. Mais Dylan ne savait pas tout. Et il ne savait pas les conversations qu’il avait pu avoir avec Monroe.  “Je sens qu’il a envie, mais je ne sais pas s’il est encore prêt, on a beau faire tout ce que tu veux, et croire en lui, s’il ne se sent pas prêt ça servira pas à grand chose - ça pourrait même avoir l’effet inverse. Il est évasif ou change de sujet dès qu’on parle de ce passé - il n’est pas encore capable de poser son regard sur son dernier album.” Il se souvenait encore comment Monroe avait fermé les yeux, détourné le regard, comment il avait pu le sentir se tendre; et Ciaran avait regretté sortir l’album de son tiroir, il avait regretté le mentionner, en parler. “Alors oui, je me permets d’émettre des craintes sur la façon dont on ‘provoque’ ça et tant pis si tu me trouves complètement stupide”. Il hausse les épaules, à ce point là de toute façon il n’y avait plus grand chose qu’il puisse faire pour changer la vision que Dylan avait de lui. “Que Monroe soit heureux et épanoui, c’est tout ce que je veux, ok? Mais il faut qu’on fasse attention, y aller doucement.” Les médias l’avaient brisé, et ils pouvaient très bien le briser à nouveau s’ils n’étaient pas assez discrets, s’ils ne prenaient pas toutes les précautions nécessaires, si Monroe n’était pas dans le bon état d’esprit en revenant dans la lumière.

Dylan n'était pas une personne très prudente de nature. Cela correspondait à sa nature un peu trop confiante, et influençait le moindre de ses actes. Dans sa vie privée, déjà. Rares étaient les fois où il prenait garde aux conséquences qui pourtant viendraient inévitablement perturber ses plans. N'ayant pas de port d'attache dans sa vie, il appréciait cette idée de chute libre - mêlant danger et sensations fortes, extase et ironie. Dans sa vie professionnelle, ensuite. Des précautions, il n'en prenait que rarement, contraint et forcé. De toute façon, qui pourrait bien avoir l'idée de critiquer son travail ? Et - à fortiori – qui pourrait bien entreprendre cette opération avec succès ? A moins d'avoir à sa disposition un cercle de relation très avantageux, cela était impossible. Et puis, après tout, le goût du risque lui était plutôt familier.

Dylan donc, ne se moquait pas de Ciaran. Il ne se payait pas sa tête. Il faisait avec ce qu’il avait. Avec ce que son principal interlocuteur acceptait de lui donner, et de lui montrer de sa personne. Sa perception à jusqu’ici conçue une image peu flatteuse sur Ciaran. Comme Ciaran s’est fait une image bien peu glorieuse sur Dylan. Il aimait bien pourtant, son programme à la radio. L’homme en face, cependant, lui paraissait trop mou, il manquait de hargne, il ne trouvait pas d’éclat dans son regard lorsqu’il parlait de Monroe. Ouais, je vous vois venir. Qu’est ce qu’il en sait Dylan, lui qui refusait l’attachement. Il le voit, c’est tout. Il se demandait si c’était de la pudeur, ou juste une façon d’être présent pour l’autre sans vraiment l’être. Il n’oserait pas remettre en question l’engagement de l’animateur radio envers son meilleur ami. Il se permettait seulement de tirer des conclusions de ce qui se passait en ce moment.

« Quoi ? Mais, je n’ai jamais dit ça ! » Stupide ? Allons donc, soyons polis. Il lui adressa un regard lourd de reproche qui contrastait avec son sourire légèrement amusé, et ne la quitta pas des yeux, alors que Ciaran poursuivit ses explications, offrant des arguments plus ou moins plausibles. L’opposition entre les deux personnalités se dessinaient parfaitement bien dans leur manière de penser et de vouloir gérer les choses pour Monroe. Dylan dans le rentre dedans, mais, appliqué intelligemment avec les armes qu’il fallait. Et l’approche plus subtile, plus tempéré de Ciaran. Trouver une entente ? La meilleure ! Non, il n'avait pas vraiment dans l'idée de négocier. Pas de cette manière. Pas en ce moment. Enfin, il ne voulait pas perdre de temps à le faire, trouver un juste milieu entre la manière de voir les choses de chacun. La demi-mesure n’est pas l’amie de Dylan, elle ne le sera jamais.

« Doucement… » Reprenait-il, sur un ton des plus étranges. Comme projeté dans un au-delà qu’il était le seul à pouvoir saisir. Doucement, douceur, délicatesse. Putain, ce que c’est chiant tout ça ! Il saisit son espresso et en pris une gorgée nécessaire. Son regard alla de nouveau rencontrer celui de Ciaran. Il avait une idée en tête. « Est-ce que le doucement, pour toi, peut inclure le fait de passer une…deux, chanson de Monroe, dans ton émission radio, disons au moins une fois par semaine ? » Ré-introduire sa voix, sa musique, laisser les gens se remémorer son talent, pousser la curiosité.

Ciaran était pourtant de nature optimiste de façon générale. Il était du genre à croire en ce que l’humanité avait de bon, et que si on y croyait suffisamment, et qu’on se battait suffisamment, on pouvait changer les choses pour le meilleur. Dylan l’avait pensé naïf, et dans d’autres contextes, Ciaran l’avait entendu plusieurs fois - Il était trop naïf, croyait trop à la bonté chez les gens. Il s’était d’abord agacé qu’on le qualifie ainsi, et puis au fil du temps il s’y était habitué. Pourtant, dans le contexte actuel, il n’était pas vraiment optimiste. Avec Monroe, il n’était pas vraiment optimiste - pourtant, il voulait l’être, vraiment. Il ne savait pas trop d’où ça venait. Peut être de l’improbabilité de leur rencontre, de sa façon à idéaliser Monroe d’une manière qui n’était peut être pas complètement saine; et à son incompréhension sur l’envie de Monroe d’être avec lui. Peut-être ne se sentait-il pas capable de l’aider comme il le fallait, peut être ne se sentait-il pas à la hauteur de la tâche; avec la crainte de faire plus de mal que de bien; parce qu’au fond, il ne s’en remettrait jamais, s’il lui faisait du mal. Peut-être que tout cela le paralysait et l’empêchait de trouver quoi faire. Peut être que, finalement, il était bon que Dylan lui rentre dedans, un peu. Bien sûr, il devait encore réaliser pleinement tout cela, et il serait difficile d’admettre que, peut être, il y avait du bon dans ce que le photographe avançait.

Il le mettait toujours mal à l’aise, ceci dit; le photographe le regardant maintenant avec un sourire amusé qui contredisait son regard agacé. Leur système de pensées étaient si radicalement opposés que le but final était sans doute la seule chose qui les faisait poursuivre cette conversation. Ciaran resta silencieux quelques secondes, contemplant la proposition du photographe; et ce qu’il pourrait faire de plus, avec son travail. Il hoche la tête et confirme, sans discuter. “Oui, je le ferai” Il n’avait pas besoin de la permission de qui que ce soit. Il avait gagné le respect de ses pairs et de ses supérieurs pour qu’ils le laissent faire ce qu’il voulait; tant que les audiences étaient au rendez vous, et elle l’était. A vrai dire, il avait déjà diffusé des chansons de Monroe dans le passé, dans certaines émissions spéciales aussi. Le faire davantage n’était pas un problème. “Je vais également réfléchir à ma liste de contacts.” Il connaissait beaucoup de monde du milieu, Ciaran. On l’appréciait beaucoup, il était respectueux, passionné et ne posait pas des questions qui ne regardaient personne. Il était là juste pour la musique, et c’est sans doute pour ça qu’il était aussi apprécié. Il savait l’ouvrir, par contre, quand un artiste faisait ou disait quelque chose d'inacceptable. “Je connais la discrétion de certains d’entre eux, je m’arrangerai pour provoquer une opportunité; le moment venu. Et… je continuerai à essayer de provoquer des conversations avec Monroe.” Il pense tout haut. Il devait faire attention, mais il avait suffisamment confiance en quelques personnes pour risquer discuter de ces choses là. Avant cela, ceci dit, il voulait être certain que Monroe voulait se reconnecter à son art.

Il sort son portable, le déverrouille et le tend à Dylan. “Ce sera plus simple de s’accorder si bsoin et de se mettre au courant, si on a le numéro de l’autre.” Il l’observe entrer son numéro. Il se souvient de son air concentré alors qu’il s’était occupé de Monroe, il y avait quelques jours. “Merci.” Dylan relève son attention sur lui. “Pour avoir soigné la blessure de Monroe, pour avoir géré la situation.” Il marque une pause. “Je sais que tu l’as pas fait pour moi, mais malgré tout, merci.” Il déglutit, non pas parce que ça l’embête de reconnaître que Dylan avait été bien plus efficace que lui - Dylan avait été l’homme qu’il aurait dû être à ce moment là, et il n’était pas encore assez stupide pour ne pas le reconnaître - mais parce que se rappeler de sa propre impuissance quand Monroe se vidait de son sang n’était pas des plus agréables.

Dylan n’avait jamais été favorable au mensonge. Cela ne faisait que repousser une échéance de toute manière inévitable – et puis pourquoi mentir ? Il n'avait pourtant pas honte de ce qu'il était ! Non, bien sûr. Mais c'est toujours un peu délicat d'avouer à quelqu'un que l’on est né d’un viol, que notre mère a passé sa vie à nous tabasser avant d’être internée, qu’on méprise la race humaine ou ce qu’elle est devenue dans son bain de superficialité, qu’on tolère très bien l’alcool et qu’on s’amuse à prendre des poudrettes magiques qui nous font disjoncter le cerveau, qu’on a un QI supérieur à la moyenne, qu’on aurait pu être un génie mais à la place, on s’amuse à se faire des combats de rue pour se sentir exister – surtout lorsque l'on ne tient pas spécialement à voir ladite personne s'enfuir en courant. « Salut, ça va ? J'm'appelle Dylan, il parait qu’on me prend soit pour un surdoué soit pour un fou allié - et puis je m’en tape de ce qu’on peut dire sur moi, l’humain n’est qu’un con de plus. Et toi ? ». Le problème, c'est que dans la tête des gens, Dylan est le genre d’individu qui conduit sur la mauvaise pente, et incite à la faute – or, objectivement, il n'est qu'un homme dégouté de sa propre race, cherchant une exaltation dans l’illicite, et glorifiant son métier au rang de grand Art, que peu de gens pratiquent avec autant de perfectionnisme que lui.

Que Ciaran le juge sur des détails, il comprenait. Il détestait ça, mais il comprenait. Pour la simple raison que lui-même appliquait la même chose avec bon nombre de ses semblables. La seule personne au monde qui connaisse réellement Dylan, c’est Monroe Elderson. Le reste n’ont de lui que ce qu’il veut bien offrir. Insaisissable, il l’est pour la grande majorité des gens qu’il rencontre, et cela lui plaisait bien. Il s’imaginait du coup, que Ciaran était bien plus que ce que son cerveau avait conclu par ce face-à-face. Il imaginait, qu’il y avait des choses en lui qui valaient la peine si son meilleur ami s’est autant entiché de lui. Sans l’ombre d’un doute, il leur faudra bien des face-à-face pour pouvoir se comprendre et se cerner. Ils sont arrivés à un accord sur Monroe, c’était déjà bien plus que ce qu’il aurait pu s’imaginer.

Un sourire se dessina sur ses lèvres. « Enfin! Voilà ce que je voulais entendre ! » Dit-il à l’encontre de l’animateur radio. Un peu de motivation et de hargne, nom de Dieu ! Fallait qu’il se bouge un peu, s’il aimait vraiment Monroe, et s’il voulait que ce dernier revienne à son essence profonde. Et reprenne ce pourquoi il est doué. Non pas des cocktails, mais de la musique ! Comme pour fêter ce discours de la part de Ciaran, il prit le dernier bout de sa viennoiserie en la dégustant comme s’il s’agissait de la dernière chose qu’il devra manger dans ce qu’il restait de son existence. Une façon comme une autre de manifester une soudaine satisfaction.

Il se dépêcha de s’essuyer les mains afin de prendre le portable de Ciaran en mains et de tapoter son numéro, surpris par le geste, et étrangement ravi également. « Je marque quoi ? Juste Dylan ? » Il porta son regard sur Ciaran en ce moment, en laissant échapper un rire sorti d’un humour personnel qu’il était bien le seul à comprendre. Il se calma bien vite en secouant sa tête, s’occupant à émettre un appel vers son propre téléphone afin d’y faire afficher le numéro de Ciaran. Il leva le regard à nouveau, clignant des yeux plusieurs fois face à ce qu’il écoutait. Un mince sourire persistait sur le coin de ses lèvres. « Je ferai n’importe quoi, pour Monroe ! Et puis, j’ai fait ça presque toute ma vie, c’est comme un bonjour ! » Déjà petit, il devait se débrouiller pour nettoyer les plaies infligées par sa mère. Masquer les bleus à coup de fond de teint volé dans une supérette. La légèreté avec laquelle il venait de répondre pouvait déstabiliser et il s’en fichait éperdument. « Je suis conscient que je ne suis pas le type avec qui tu voudrais être ami. Mais je suis là, si besoin » Une façon de dire « De rien ». Il lui remis son téléphone, tentant un sourire amical.

Il y avait une chose que Ciaran ne supportait pas, c’était qu’on le prenne de haut et qu’on le juge sans le connaître. ça l’agaçait prodigieusement. Il ne supportait pas les gens qui ne cherchaient pas à comprendre, qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, qui restaient enfermés dans leurs préjugés. Il l’avait trop connu chez ses proches, dans la communauté de son enfance; mais également aujourd’hui à chaque fois qu’il menait ou participait à des actions de sensibilisation. Et donc, la vraie ironie dans tout cela, c’est bien qu’il était en train d’agir exactement comme ces personnes qu’il abhorrait avec Dylan - alors même qu’il ne le connaissait pas, qu’il ne l’avait vu en tout et pour tout pas plus d’une heure, sans doute. Pourquoi agissait-il ainsi? Parce qu’il l’avait traumatisé à massacrer ce type, et qu’il n’était pas habitué à la violence, qu’elle lui faisait peur? Parce qu’il avait peur qu’il influence Monroe? Pourquoi, exactement? De quoi avait-il peur, au plus profond de lui? La vrai teneur de ce qu’il lui étreignait douloureusement le coeur, c’était quoi? ça lui donnait mal au crâne. Sa propre hypocrisie ne passait pas inaperçue, surtout pour lui-même. Et il ne souhaitait pas l’ignorer, pas totalement.

C’était sans doute pour cette raison qu’il s’était efforcé à ravaler pour quelques minutes son ego en lui, qu’il n’avait pas fait de commentaire quand Dylan s’exclamait alors qu’il venait d’indiquer ce qu’il allait faire; il chercha à ignorer l’irritation provoquée par l’apparente satisfaction du photographe qu’il aille dans son sens; et puis à ignorer l’envie de confirmer qu’il n’allait pas pousser cela trop fort non plus; qu’il voulait rester méfiant. Mais au lieu de cela, il choisit de rester silencieux, et de lui passer son téléphone, chose qui sembla ravir Dylan, et qui le décontenança un peu, un type de sourire aux lèvres que Ciaran ne lui avait encore jamais vu. Il haussa les épaules. “Tu peux mettre “mec flippant” si ça t’amuse” Il commenta dans une pointe d’humour en faisant allusion au début de leur conversation. Le reste des propos de Dylan le firent passer du décontenancement à la surprise. Toute sa vie? Le propos l’intriguait - l’effrayait aussi un peu; qu’est ce qu’il voulait dire par là? Est ce que c’était une exagération pour signifier quelque chose qu’il avait tant l’habitude de faire qu’il avait l’impression de l’avoir fait toute sa vie. Ou bien quelque chose de plus profond, de plus grave, de plus littéral?  Il n’allait pas chercher à en savoir plus, ceci dit, ils n’étaient pas assez proches pour cela, et ce n’était très clairement pas sa place. De toute façon, le photographe venait d’enrayer sur autre chose; avant de lui rendre son téléphone. “Merci…” Il dit simplement, alors qu’il assimilait tout ce qu’il venait de lui dire, récupérant son portable. Dylan avait la capacité de changer d’humeur très rapidement, d’après le peu qu’il avait observé. “Si on parvient à travailler ensemble déjà c’est un bon début” Il répond avec un léger sourire également. “Merci, je m’en souviendrai si j’ai besoin de points de suture un jour.” Il ajoute avec humour à nouveau avant de finir son café.

Il y eut un moment de flottement. Il ne savait plus trop quoi dire, n’étaient-ils pas arriver à la finalité de leur entrevue. Pour ne pas paraître impoli, il fallait sans doute qu’ils poursuivent leur conversation, mais pour dire quoi ? Parler de banalité, de la pluie et du beau temps? Ciaran doutait que ce soit le genre de Dylan. Et puis se raconter leur vie n’était pas non plus une option, ils n’en étaient pas encore là. “Bon, je vais te laisser au reste de ta journée, on se tient au courant?” Il finit par se décider avant de sortir un billet de sa poche et de le laisser sur la table, avant de déclarer en secouant la tête  “Laisse - prend ça comme mon excuse d’être arrivé ici avec trop d'a priori” Il hausse les épaules. “Bonne journée Dylan”

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